Chronique

A l'écoute du Monde...... Notes personnelles d'un voyage dans le nord du Viêt Nam

Quatre semaines durant Yves Rinauro nous a conté avec force et images son voyage dans le nord du Viêt Nam. A l'issue de ce périple, il nous livre, au travers de ses mots, un bilan tout à la fois personnel, littéraire et historique.



De gauche à droite : 1/ Photo extraite du film "l'Amant" , d'après le roman de Marguerite Duras, réalisé par Jean-Jacques Annaud (Crédit photo DR); 2 et 3/ A lire deux des oeuvres de Marguerite Duras l'Amant et Un barrage contre le Pacifique (Crédit photos DR); A lire également " Nos pères ennemis" d'Hélène Erlingsen-Creste (Crédit photo DR)
Ce que ce voyage suscite n’est pas de l’ordre du dépaysement. Il me fait remonter dans une opacité déposée lointainement dans des replis, à ce à quoi le mot Viêt Nam se réduisait.

Ce n’est pas l’exotisme de l’insolite qui retient le regard ici, mais la quasi certitude que ce pays aura été un des laboratoires du diable et que celui-ci, pour une fois, s’y est cassé les dents. Ce que je savais du Viêt Nam tenait à peu, un complexe embrouillé : quelque chose d’Un Barrage contre le Pacifique, plus que de L’Amant(Marguerite Duras), qui raconte l’échec de cette prospérité coloniale, sa face occulte, une histoire longue et identifiée, le colonialisme rapace et incapable d’interpréter le monde en se décalant de ses présupposés, de sa certitude d’oeuvrer par et pour la raison - il y a bien sûr Yersin,.. mais il ne saurait racheter à lui tout seul les horreurs commises ici -, les soldats perdus de la République, rappelés par Hélène Erlingsen-Creste, l’invasion américaine et son cortège de souffrances, d’incendies au napalm. Images de rizières en feu, de villages massacrés, et la résistance aux bombardements massifs, l’espérance communiste qui culmine en occident avec les révoltes de la jeunesse, de 1967 aux années 1970, la fuite éperdue et honteuse de 1975.Puis la guerre sans les images, et les boat-people, la haine anticommuniste qui déferle, on le comprend, manifestée par les réfugiés rencontrés à Paris.

 

Six millions de touristes viennent chaque année comprendre sans doute un peu de leur propre histoire (Crédit photo agendatour.com).
Et maintenant, après ces années de plomb, plus de six millions de touristes viennent chaque année comprendre sans doute un peu de leur propre histoire.

La transformation aura été ici majeure. La pensée Confucius est plus que jamais ancrée dans le quotidien. Mon guide Minh me disait récemment la relative incompréhension des citoyens de son pays à la notion même de droits de l’homme.

« Ici, tout est pensé à partir d’un lien familial élargi, qui peut aller à tout le village. Ce n’est pas de la fraternité, nécessairement exclusive, ni de la solidarité, qui s’est amoindrie en une idéologie dont nous avons vécu dans notre chair les limites, parce qu’elle était instrumentalisée. Ici, notre régime est celui de la communauté, à l’égard de laquelle nous avons déjà des devoirs. L’initiative individuelle n’est pas annihilée cependant. Mais si je réussis, je suis toujours redevable de mon succès à un groupe ».

Ce matin, la directrice de l’école m’expliquait qu’il n’y avait pas d’élèves décrocheurs dans l’école qu’elle dirige. Dès que la difficulté est identifiée, l’élève est pris en charge individuellement. Mais ces études ne seront pas longues, et il sera orienté vers une formation technique. Ce dernier point me fait réagir.

 

Les auteures vietnamiennes posent un regard sans concession sur le fonctionnement de leur pays : 1/ Dô Kh dans " Samedi Saïgon"; 2/ " Sanctuaire du coeur" de Duong Thu Huong dont portrait ci-contre; 3/ " l'ïle aux Femmes " de Ho Anh Thai (Crédit photos DR)
Heureuse période, alors ? Voire. J’imagine les failles, pas que dans les zones urbaines, et j’ai vu dans la plupart des villes des petits groupes d’adolescents ivres et errants, parlant fort et à la gestuelle, la démarche, empreintes de ce qui se marque sur le seuil de la révolte : attitudes hautaines, regards lourds de mépris sur les adultes, et pas nécessairement étrangers.

Dô Khiêm alias Do Kh dans le surprenant Saïgon samedi  , Editions Riveneuve, 2014,  saisit une série d’instantanés le 11 janvier 1975, et montre comment l’ensauvagement  s’empare des êtres dès que la montée de la crise est perceptible. Il montre surtout la capacité de violence de cette société dès lors que le sentiment communautaire lui échappe. Les romans de Duong Thu Huong disent eux l’envers de cette société et ses efforts pour résister à l’emprise d’une parole autoritaire qui travestit la réalité du vécu. La figure de Hô Chi Minh, dans Au Zénith   Editions Sabine Wespieser, 2009, devient celle d’un mensonge d’État. Dans Sanctuaire du coeur (Sabine Wespieser, 2011), elle révèle l’état d’un pays dont les parents, qui ont mené les combats, n’ont pas su transmettre les idéaux pour lesquels ils s’étaient battus, et qui se sont dissous dans une sexualité sans autre fin que son assouvissement, l’appétence au pouvoir et à l’argent. Et Ho Anh Thai, lui aussi, avait dénoncé en son temps dans L’Île aux femmes aux Editions deL’Aube, 1997, la frustration, le déni. La baie de Hạ Long aux pains de sucre si spectraux y était décrite comme un point de non retour de la privation, jusqu’au dépouillement sordide.

Kim Lefèvre, dans Métisse blanche puis Retour à la saison des pluies,... publiés ensemble désormais aux éditions Phébus 2008 (Crédit photos (Editions Phebus)
Mais il y a aussi un Viêt Nam d’avant, qui n’existe presque plus : celles et ceux qui, partis depuis longtemps, sont balayés par l’urgence du retour.



Kim Lefèvre, dans Métisse blanche puis Retour à la saison des pluies,... publiés ensemble désormais aux éditions Phébus 2008, s’éprouve dans ce retour qui transforme le quotidien en trajectoire.

Demeure néanmoins ce lien intense : « Dans cette remontée vers l’amont où presque rien de ce qui fut ne subsiste, ma famille est mon point de repère, le cordon qui m’attache à ce pays où je suis née. Elle est mon passé vivant, le trait d’union entre ce que j’étais et ce que je suis ».





Yves Rinauro
 
 

Pour mémoire liens du carnet de voyage au Viêt Nam du nord de Yves Rinauro.

La baie de Ha Long au lever du soleil (Crédit photo voyager-vietnam.com)
Viêt Nam première semaine : 
http://www.lindigo-mag.com/Premiere-semaine-Impressions-de-voyage-dans-le-nord-du-Viet-Nam-_a626.html


Viêt Nam deuxième semaine :
http://www.lindigo-mag.com/Deuxieme-semaine-Impressions-de-voyage-dans-le-nord-du-Viet-Nam_a627.html


Viêt Nam troisième semaine :
http://www.lindigo-mag.com/Troisieme-semaine-Impressions-de-voyage-dans-le-nord-du-Viet-Nam_a628.html


Viêt Nam quatrième semaine
http://www.lindigo-mag.com/Quatrieme-semaine-Impressions-de-voyage-dans-le-nord-du-Viet-Nam_a629.html




Année France-Viêt Nam en France
http://www.anneefrancevietnam.com/
Ce voyage a été préparé avec soin par Anaïs Velasquez, et Les Ateliers du voyage.  Qu’ils en soient ici remerciés, ainsi que les guides et les chauffeurs qui nous ont accompagnés pendant ce tour, réalisé sans urgence, à un rythme tout à fait humain.
Office de tourisme du Vietnam à Paris ...

Scène d'une journée ordinaire dans un quartier populaire du nord Viêt Nam (Crédit photo le Viêt Nam authentique)


11/04/2015
Yves Rinauro




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