Chronique

A l'écoute du Monde...Rome, cité de la retenue et de la pudeur.

Yves Rinauro nous entraîne, grâce au roman « La Virgilia » du poète et musicologue Georgio Vigolo, publié récemment aux éditions de la Différence, à la découverte mystérieuse et fascinante de Rome des années 1880.



Depuis la Porte célébrissime de la Piazza dei Cavalieri di Malta, posez votre œil sur le "trou de Rome" (Photo madamelefigaro.fr)
Rome. La fête du conclave est terminée. La vie courante reprend son cours : les touristes reviennent flâner. Rome au printemps est enchantement : les arbres fleurissent, même si parfois une brusque ondée fait sortir les parapluies, les parterres d'azalées s'étendent, dévalent en cascade le Trastevere et surtout la piazza di Spagna. Depuis la Porte célébrissime de la Piazza dei Cavalieri di Malta, vous poserez votre œil sur le "trou de Rome" : vous y verrez au fond le dôme, comme encadré d'une végétation plantée à dessein pour surenchérir dans la perspective. Les hirondelles arrivent à Rome avec le printemps et leur chant, aux modulations stridentes, scintillent dans l'azur et l'on serait prêt à entendre la parole des augures de la ville antique. L'enchantement romain change l'âme du promeneur, et peut, s'il y consent, lui offrir de rencontrer sa propre saison. C'est ce charme que nous procurent certains livres, aussi.
 

Portrait du poète et musicologue Georgio Vigolo auteur de "La Virgilia" (photos LD)
Emportez avec vous ce roman mystérieux, La Virgilia, publié récemment aux éditions de la Différence. Son auteur, Georgio Vigolo, l'avait écrit entre 1921 et 1922, mais il ne le publia qu'en 1982, un an avant sa disparition. Poète, musicologue, Vigolo a créé là un mythe intense, qui s'imprime dans l'imaginaire du lecteur, au point que celui-ci devient en quelque sorte un personnage de cette histoire mystérieuse, et fascinante.
Un jeune homme vient à Rome dans les années 1880 pour étudier la musique du XVIème siècle, et pour mettre au jour des manuscrits qui dorment encore dans les armoires poussiéreuses d'églises et de monastère. C'est sa première venue à Rome, et il a vingt ans. Il s'émerveille, et se concentre sur la Rome de son siècle à lui : "l'Histoire que je te raconterai a été vécue par moi il y a bien des années (…). Connais tu la via Giulia, la piazza Farnèse, le Campo dei Fiori, la Cancelleria, la via di Monserrato, les Blanqui Vecchi ? C'est là, dans la ville papale du XVIe siècle que j'ai vécu cette page étrange de ma vie".
Le voici, mettant à jour des partitions dont les notations ne sont pas obscures pour lui et qu'il est parfois le seul homme de la terre à pouvoir interpréter; comme s'il prenait peu à peu conscience qu'il était un élu. Il croise des personnages, un cardinal, qui lui fait d'étranges confidences au sujet de la musique que lui-même interprète sur un harmonium. C'est son voisin. Mais c'est aussi un homme de très haute culture.
 

Un garde suisse protège l'entrée du Vatican . Copyright photo Lindigomag/Pixabay
La Virgilia est le roman de cette culture, dont la mémoire s'effiloche à mesure que nous avançons, encombrés de nos machines et de nos dispositifs. Dans le roman, on recopie, on interprète, on prend le temps de regarder et de goûter. La maison dans laquelle les deux hommes habitent date de ce temps. La façade s'orne de la formule gravée déjà au fronton du temple de Delphes : NEQUID NIMIS, rien de trop. Contrairement aux apparences et aux clichés courants, ici Rome est la cité de la retenue, et de la pudeur. Ou plus exactement, et c'est bien ce qui importe, l'essentiel est de ne pas laisser son regard et ses sens se perdre dans la dérive des stéréotypes, mais de s'arrêter et de se rendre disponible. Alors seulement vient à ce passant tranquille ce qui se dissimule dans l'ombre des années et des siècles. Toutes ces demeures ont dans leurs murs une mémoire considérable : la musique y a résonné, on y a regardé des tableaux, on a aimé. "À Rome, tout prend avec naturel le caractère du rite ; il y a en toutes choses une tradition sacerdotale, débonnaire mais solennelle. Le patron de bistrot romain est un prêtre ; tout petit commerçant romain est un prêtre ; quant au cocher romain, c'est carrément un pontife". Le narrateur décrit à cette occasion une friterie. Rome est nimbé de cet aura.

Une nuit, le mystère prend de l'épaisseur ...... Copyright photo Lindigomag/Pixabay
Une nuit, le mystère prend de l'épaisseur : le narrateur entend une musique qui semble traverser les murs de sa chambre.

C'est le début alors d'une aventure exceptionnelle, surprenante et bouleversante : le passé vient à lui, sous l'apparence d'une jeune femme, la Virgilia. Le roman devient celui d'une initiation à la vie, et à l'élection de l'âme. Il faut suivre pas à pas ce mouvement qui passe par une sorte d'éviction de soi, l'errance dans les rues de Rome, et la découverte presque subreptice d'indices, qui peu à peu, mis en relation les uns avec les autres vont commencer à faire sens.

Cette quête de la Virgilia est celle des silhouettes de l'invisible, d'une aspiration dont le sens échappe, dès lors qu'on cherche à l'immobiliser dans des mots. Car "il ne suffit pas d'une vie entière pour trouver ce à quoi notre être aspire instinctivement". Il faut savoir entrer résolument dans les ruelles un peu obscures de la conscience.

Le roman nous montre qu'au détour d'une de ces venelles, c'est la lumière qui surgit. Non pas solaire et diurne, mais une de ces lueurs fragiles que dispensent les lampes à huile et les bougies, tremblantes au souffle de l'histoire. Parfois l'énigme est cadenassée pour les siècles : il faut savoir être attentif à sa propre surprise pour que se libère la beauté, et que les misères des hommes, leur désirs pauvres, s'effacent, deviennent une poussière qui rejoint le Tibre.

La Virgilia, c'est une façon très particulière, et encore une fois bouleversante de dire Rome. On n'en revient pas comme on y était allé : quelque chose en soi a changé, qui est radieux. Y.R.


La Virgilia
de Georgio Vigolo

Aux éditions de la Différence
Prix 15 Euros.
www.ladifference.fr/

Vue sur le Dôme de la Basilique Saint-Pierre de Rome; Copyright photo Lindigomag/Pixabay


28/03/2013
Yves Rinauro




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