Chronique

A l'écoute du Monde.....Welcome in California !

La ville balnéaire de Long Beach est située près du centre de Los Angeles et possède l’un des ports les plus grands et les plus actifs du monde. Cette grande banlieue californienne est habitée par une population très cosmopolite. C’est aussi dans cette ville qu’a débuté, au début du siècle dernier, la grande industrie du cinéma muet. C’est là, que nous suivons, la deuxième partie (et fin) de la saga californienne d’ Yves Rinauro.



photos Yves Rinauro
L’avion a fini par se poser, après une grande dizaine d’heures de voyage les genoux dans le menton, si, cher lecteur, vous vous en souvenez. L’utilitarisme courant, aux États Unis, permet d’accélérer les formalités de sortie. Le hall est étroit, et la rue immédiate. C’est donc ici Los Angeles  ? J’ai réservé une place dans une navette, qui doit me conduire à l’hôtel. Bizarrement, il faut dire que je n’en ai pas l’habitude, au milieu des trois ou quatre enseignes différentes de navettes, celle que j’ai réservée est visible. Un homme se tient sur l’emplacement. « Sir ? ». Mon nom est imprimé sur une liste. Il me propose d’attendre un tout petit peu moins que dix minutes. D’autres navettes passent, qui ne vont pas dans ma direction. L’une d’entre elles s’arrête, se gare. J’attends depuis 8 minutes. Ma signature vaut pour paiement. Un bras vigoureux s’empare de ma valise, je monde dans la camionnette Ford. Il est 18h. Mon avion a décollé à 14h, je me demande par quel miracle je connais encore mon nom.

photos Yves Rinauro
Rapide installation dans l’hôtel : c’est là où je vais résider, mais c’est dans les salons de cet espace clos digne d’un cauchemar climatisé que se déroulera le congrès de l’association qui m’a invité. Je vois d’ici la façon dont cela va se dérouler : les séances auront lieu de 9h à 20h. Donc pour le tourisme, ce sera dans les interstices. La suite ne va pas démentir cette appréhension initiale. Les congrès sont des temps intéressants : dans un endroit pas nécessairement central à l’échelle de la planète, sont rassemblées des centaines de personnes qui portent en commun une thématique, un angle de travail, et ils sont réunis par une instance qui leur demande de faire état de l’avancement de leurs travaux. En général, les interventions tiennent du speed-dating : 10-12 minutes, quelques questions. Séance suivante. On se parle au repas (un sandwich avalé debout). « Tenez, voici ma carte. Il serait bien que nous poursuivions cet échange ensuite par mail. Mais je crois que nous nous connaissons : nous nous sommes rencontrés il y a dix ou douze ans, je crois que c’était à Nankin. – Je crois plutôt que c’était, à Prague, oui c’est cela, à Prague ». Mon interlocuteur, que je ne remets pas, et à qui je ne dirai pas que je ne suis jamais allé à Prague, ne peut se départir de cette idée fixe que pour lui j’étais le passant de Prague.

Photos Yves Rinauro
Mais la salade de Roissy et les plats servis dans l’avion – peu touchés, par égard à ma propre dignité – sont loin, très loin. Entre le sommeil et la faim, je choisis une douche. Je n’irai pas très loin, dans Pine street. Il fait déjà nuit et un peu frais. Les restaurants du quartier sont affreusement chers. Une impression de propreté entretenue sans cesse. J’aperçois d’ailleurs un balayeur, âgé, s’affairer sur un trottoir, dans le noir. Il y a des corbeilles partout. Ici, éviter de balancer un mégot n’importe où. On traverse les rues au signal, jamais autrement : je regarde des gamins délurés respecter le signal. Dès que ça passe au vert pour les piétons, un compte à rebours s’enclenche. Plus que 7 secondes avant de parvenir sur l’autre rive. J’entre dans une boîte à hamburger qui a l’air assez décatie, Johnny Rockets.
Bar aux chaises pivotantes recouvertes de simili couleur rouge sang, carrelage blanc liseré de bandes grises. On vient de laver le sol, et ça sent le désinfectant javellisé. Des écrans de télévision dont certains sont muets. Musiques éraillées et cacophoniques. J’avise plutôt une banquette où je pourrai étaler mon corps en désastre. Tout semble faux : à chaque table un juke-box factice, aux murs, des publicités et des réclames de menus en polices de caractères des années 1950. Cet endroit joue à avoir au moins mon âge. On est dans la parodie de la mythologie, et il ne manque plus que les Beach Boys. L’endroit est vide, et un seul client entrera après mon arrivée, et qui réfléchira trois plombes sur le menu avant de commander.
Première erreur : je dis au serveur que j’ai très faim, et que je ne comprends pas grand chose à la carte. Je lui laisse le choix. Il m’apporte un monstre, une montagne calorique qui ferait dangereusement hurler les diététiciens du monde entier… Il ajoute que les frites sont à volonté. C’est un beau jeune homme, qui me demande d’où je viens. Il aimerait bien voir Paris, quitter Long Beach, un peu. Il y est né. Sa mère et son père venaient d’Europe.
Je me penche sur le simili juke-box, en évitant de répandre le multicouches que je tiens pas trop fermement entre les mains : le ketchup a déjà barbouillé ma chemise. La page tient du musée : Ray Charles (« Hit the road, Jack ») ; James Brown (« Papa’s got a brand new bag ») ; The Bee Gees (« Stayin’ Alive ») etc. Ok, demain sera un autre jour.
 

Photo Yves Rinauro
Ce n’est que trois jours après que je parviens à m‘échapper du congrès. Il est d’ailleurs terminé. Le speed-dating de rigueur a tenu ses promesses, beaucoup de cartes ont été échangées, beaucoup de connaissances, surtout. Il est sept heures du matin, c’est dimanche, et le soleil s’est levé, dans un ciel qu’aucun nuage ne vient troubler. Je m’élance, enfin disponible, pour une grande promenade solitaire sur le seashore et j’irai voir cette long beach tant vantée. La dernière fois que j’avais marché, ce devait être à l’été 1978. On a beaucoup construit, depuis, et déjà, je n’y avais fait que passer. Une brise encore fraiche oblige à revêtir un pull. Quelques matinaux font leurs exercices physiques. Sur un des quais flottants, un homme relativement âgé, allongé sur le dos, se contorsionne et s’étire. Une jeune femme, qui visiblement a dormi à cet endroit, est assise en tailleurs et regarde le paysage. Ses épaules et sa tête émergent du sac de couchage. Dans le ciel, des pélicans volent en compagnies qui se succèdent, se croisent, plongent toutes ensemble. Le Queen Mary, face à nous, est définitivement à quai. Dans la darse, soudaine agitation : un groupe de dauphins anime les vaguelettes provoquant des remous, dans lesquels plongent des nuées de pélicans. Les trois spectateurs demeurent muets de ravissement.

Photo Yves Rinauro
Puis soudain, il doit être 8 h, la catastrophe, qui met fin à la promenade solitaire du passant de Long Beach : une foule de plusieurs centaines de personnes, vociférantes, s’avance par le même chemin. C’est un semblant de course, façon téléthonesque. Mais il sont si nombreux qu’il est impossible de courir ! Des équipes, identifiables à des tee-shirts, des casquettes, des chapeaux, font groupes à l’intérieur de la foule. À un virage de cette course, pom-pom girl solitaire et orchestre à vent encouragent les participants par des hurlements de joie et des accords rock’n’roll. Welcome in California !
Je m‘écarte prudemment et suit le chemin qui mène vers la plage. Elle est effectivement fort longue, et large, comme dans mon souvenir. Un groupe d’adultes mexicains joue au football. Des cyclistes dansent un ballet sur la piste cyclable qui sinue dans le sable. Je croise une joggeuse qui a fait tatouer sur sa poitrine ce que je suppose être son prénom. Des pêcheurs s’avancent, portant équipement, et pliant. Certains sont déjà installés sur la grève.Mais c’est bientôt l’heure du départ. Je remonte lentement vers Ocean Boulevard.Je laisse la plage derrière moi. Dans quelques heures, l’avion m’emportera bien loin. Je suis repassé par Long Beach.

Yves Rinauro

Long Beach (Photo Yves Rinauro)


21/04/2012
Yves Rinauro




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