Reportage

Côte nord du Pérou Le renouveau des sites pré-incaïques

Sur la côte nord-ouest du Pérou, des sites pré-incaïques renaissent volontiers à la vie. Tucume, Lambayeque, Chan Chan abritent quelques belles pépites archéologiques et muséales. Des artisans y perpétuent la tradition millénaire.

Par Claude Vautrin, texte et photos



Lambayeque Musée des tombes royales du seigneur Sipan @ Claude Vautrin
Face à l’Océan Pacifique, dominant la plage de sable fin, une terrasse au mobilier d’un autre âge prolonge l’édifice en bois daté de 1871 et classé « ambiente urbano monumental ».

Au Pérou, ce label public reconnaît à des fins de préservation la valeur patrimoniale d’un bâtiment. Sur le Malécon Grau, la promenade longeant la plage, plusieurs constructions du début du XXe siècle dont les anciennes Douanes, affichent la même référence, conférant à la petite station balnéaire un charme désuet. Créé en 1901, le Club de Pascamayo n’ouvre ses portes qu’à ses membres - quoique ! Le sol du bar arbore un pavé mosaïque. Gravée dans le chambranle de la porte séparant deux salons une sculpture hautement symbolique, elle aussi, dessine une spirale. Avant d’abriter les débats discrets de l’élite locale, on stockait dans ces lieux ouverts au vent du large des produits venus d’au-delà des mers. Entrepreneur en import-export, le propriétaire et bâtisseur y aménagea de 1879 à 1883 un temple maçonnique.

Niamlap, le roi mythique

La jetée sur pilotis de Pascamayo permettait l’exportation de la canne à sucre et du riz des plantations de l’intérieur, approvisionnant de précieuses cargaisons les bateaux en attente @ Claude Vautrin
L’imagination s’envole, plaçant dans un fauteuil au cuir épais la silhouette d’un Corto Maltese, attiré ici par des désirs d’aventure et des intrigues d’un autre temps. Brisant d’une diagonale sombre le bleu de la mer, un môle d’environ 500 mètres s’avance au loin vers les eaux profondes. Cette jetée sur pilotis de Pascamayo permettait l’exportation de la canne à sucre et du riz des plantations de l’intérieur, approvisionnant de précieuses cargaisons les bateaux en attente. L’affaire n’est pas nouvelle. Négoce, audace, soif d’aventure : le passé lointain du Nord du Pérou ressurgit. Venu lui aussi de la mer, avec sa cour, Naimlap, le roi fondateur et mythique, l’homme oiseau, bouscula le destin de la région, développa l’agriculture le long des rivières andines aux limons fertiles, et établit le royaume pré-incaïque de Lambayeque qui régna dans le Nord-Ouest du Pérou du 8ème au 14ème siècle. Au-delà des charmantes et populaires stations balnéaires de Pimentel, Pascamayo, Huanchaco, cette dernière étirant ses plages à surf plus au sud à proximité de Trujillo, la découverte du nord-ouest du Pérou vaut déjà par cette plongée palpitante dans l’Histoire, sublimée dans des musées et sur des sites archéologiques refusant tout artifice, et perpétuée parfois via la maîtrise de savoir-faire issus de ces siècles conquérants.
 

Des artisans perpétuent la tradition

Reconnue par des médailles officielles pour perpétuer les gestes vieux d’un millénaire, l’artisane en démêle les fibres, les transforme en flocons, avant de filer, ourdir, puis tisser sur un métier ancestral des ouvrages aux symboles ésotériques @ Claude Vautrin
Oublions l’ambiance feutrée, quasi mystérieuse, du Club de Pascamayo pour rejoindre la vallée des Pyramides, et Tucume, à une trentaine de km au nord de Chiclayo, point d’arrivée dans la région. Le coton natif aux capsules colorées, planté jadis par les sujets du roi fondateur Naimlap, pousse toujours sur le terrain de l’atelier de fabrication de tissu autochtone de Susana Bances Zena, à Caserio La Raya. Reconnue par des médailles officielles pour perpétuer les gestes vieux d’un millénaire, l’artisane en démêle les fibres, les transforme en flocons, avant de filer, ourdir, puis tisser sur un métier ancestral des ouvrages aux symboles ésotériques. « Cela me plaît beaucoup de créer, de transmettre ». Une belle idée, quand on sait qu’aujourd’hui seule une dizaine de personnes pratiquent l’activité dans la région. A Huanchaco, Ucanan, un pêcheur souriant, ne partirait jamais accomplir sa besogne nourricière sans son caballito de totora, ou « petit cheval de roseau », une pirogue existant au Pérou depuis le début du premier millénaire. N’en trouve-ton pas des représentations sur des céramiques de la culture Moche (du 1er au 8e siècle), antérieure au royaume de Lambayeque dont le roi légendaire aurait débarqué sur ce type d’embarcations.
 
 

A des fins spirituelles aussi

Une proue pointue recourbée vers le haut, une poupe plus large, de quoi s’asseoir ou s’agenouiller et ranger son matériel de pêche @ Claude Vautrin
Aujourd’hui Ucanan avoue être malheureusement parmi les derniers à en fabriquer, nécessité faisant loi, une telle embarcation ne dépassant pas les trois mois d’existence dans les eaux salées, en cela, agressives, du Pacifique. N’empêche, l’entrain est réel, et l’art parfaitement maîtrisé, de la culture de plus en plus réduite des joncs et roseaux, du fait de l’urbanisation des sites balnéaires, à la confection de l’embarcation à la forme originale : une proue pointue recourbée vers le haut, une poupe plus large, de quoi s’asseoir ou s’agenouiller et ranger son matériel. Pêcheur avant tout, Ucanan ne dédaigne pas se jouer des vagues sur un site il est vrai apprécié des surfeurs. On dit aussi que, sur ces frêles pirogues, les Moche longeaient la côte sur de grandes distances en quête d’un coquillage sacré. A des fins spirituelles ou matérielles, le totora facilitait le quotidien. Ucanan n’oublie pas.
 

Moche, Lambayeque et Chimu

Lambayeque Musée des tombes royales du seigneur Sipan @ Claude Vautrin
Pas davantage question de passer sous silence ce que furent les civilisations pré-incaïques dans ce nord-ouest péruvien : les Moche d’abord, puis les Lambayeque à partir de l’an 700, enfin les Chimu, qui connurent leur apogée au XVe siècle, avant que les Incas expansionnistes ne les assimilent. Huit siècles avant la domination de l’Empire Inca, la civilisation Moche avait déjà laissé son empreinte créative dans la région. Economique, via le développement de l’agriculture, et artistique. Un superbe site, le Musée des tombes royales de Sipan, magnifie ce savoir-faire d’exception à Lambayeque. Un véritable trésor y est exposé de manière très pédagogique, présentant ainsi l’avantage de lever le voile sur le quotidien de la société Moche qui régna ici entre 100 et 700. Ornements en or, argent et turquoise, pectoraux et boucles d'oreille, pièces de céramique de toute beauté : les pièces proviennent de Huaca Rajada, le plus grand complexe funéraire de la culture Moche découvert à ce jour.
 

La « vallée des pyramides »

- Tucume Vallée des Pyramides @ Claude Vautrin
Un autre incontournable, historiquement et culturellement parlant, a pour nom, à une quinzaine de kilomètres de là, « la vallée des pyramides ». Le site archéologique, aux constructions immémoriales, voisine la bourgade de Tucume, la capitale du royaume pré-incaïque de Lambayeque. Héritiers de la culture Moche, les artisans Lambayeque exprimèrent leur créativité dans des céramiques noires sculptées et polies, le travail du métal, l’or et ses subtils alliages, des textiles donc et d’autres orfèvreries incrustées de coquillages, visibles sur le site dans le petit musée de Tucume. Construites à une trentaine de kilomètres au nord de Chiclayo autour d’une rare montagne naturelle, le Cerro la Raya, surnommé le Purgatoire, ces pyramides de pisé et d’adobe témoignent tout autant de leur habileté architecturale. On en dénombre plusieurs dizaines dont Huaca Larga, la plus imposante, mesurant 700 m de long, 270 de large et 30 de haut. Jadis accessibles par des rampes, aux plateformes superposées, elles étaient décorées de motifs, figurant entre autres des oiseaux. Les pluies rares, mais torrentielles de la région, les ont érodées, ajoutant à la magie des lieux. A leur pied, des cimetières ont volontiers livré les objets d’autant plus précieux sur cette terre aride.
 

Le Palais Nik Ann à Chan Chan

Chan-Chan Palais Nik Ann - Culture Moche @ Claude Vautrin
Plus au sud de ce nord décidemment généreux en surprises pré-incaïques, direction Chan Chan, emblématique de la culture Chimu, qui porta l’ultime résistance aux Incas. Sur la côte Pacifique, à deux pas de l’embouchure du fleuve Moche, non loin de Trujillo, « ville du printemps éternel » et chef-lieu de la région au doux nom de Libertad, l’ancienne capitale de ce royaume finalement conquis par les Incas en 1470, est connu pour être la plus grande cité en argile (adobe) du continent. Classé par l’UNESCO patrimoine mondial de l’humanité, le site de Chan Chan, daté de 850, comprend neuf grands ensembles, seul le palais Nik Ann étant pour l’heure restauré et ouvert à la visite. Après avoir franchi l’unique porte au nord de l’ensemble, protégé par un haut mur d’enceinte, on y découvre une gigantesque place cérémonielle, puis les espaces privés du roi, les dix-sept pièces dédiées à l’administration, un mausolée, la partie funéraire aux 43 tombes, le réservoir d’eau alimenté par un ingénieux système en lien avec la nappe phréatique…  Poissons, pélicans, écureuils, vagues stylisées, figures géométriques, la lune : les détails des frises murales situent parfaitement les priorités symboliques, en lien avec la nature, des Chimu. Saisissant de grandeur ! Et autant de connaissances nouvelles acquises dans une région assurément riche en surprises, en patrimoines dignes d’être connus, et loin d’avoir révélé tous ses trésors.
 

Escapade culinaire à Lima

Lima Restaurant Caplina et Mercado Surquill @ Claude Vautrin
La découverte du nord-ouest du Pérou se jumelle volontiers avec un séjour à Lima, la capitale, elle aussi, apte à séduire, le jour comme la nuit. De l’escapade, retenons une belle expérience culinaire de quelques heures, judicieuse dans un pays désormais mondialement reconnu pour sa gastronomie, tirant admirablement profit de la variété exceptionnelle des produits locaux en provenance de l’Océan, des Andes, d’Amazonie… Même le vin y acquiert désormais ses lettres de noblesse. L’expérience début par un tour au marché n°2 Surquillo, riche en parfums, couleurs, saveurs en tout genre. Des bananes font office de lampions, des poulets s’affichent en rang d’oignon, les légumes se groupent en une parade festive, les fruits rivalisent de séduction. Une belle mise en bouche avant le départ pour San Isidro et le restaurant Caplina. Grâce à Omar, un barman créatif, tout est dit sur le Pisco Sour, la boisson mythique péruvienne, Les Pisco Sour, devrait-on dire, parfois fortement arrangés. Classification, marques, parfums : rien ne manque, avant une entrée en cuisine pour s’initier aux côtés d’Alex à l’art de préparer un « ceviche » « où les fruits de mer frais rencontrent les saveurs zestées des agrumes ! » Un programme complété par la confection de plats traditionnels, tel le fameux lomo saltado, à base de longe de bœuf. Une « chicha morada », boisson traditionnelle, s’il en est, élaborée à partir de maïs violet et infusée d’épices aromatiques, ponctuera le tout.   D’autres plaisirs vous attendent à Lima. Citons le Parc de l’amour à Miraflores, le très animé et branché quartier de Barranco, et, plus spirituel, le tout aussi attractif Couvent des Dominicains, avec, à deux pas de la magistrale Plaza Mayor, une montée au sommet du clocher ouvrant une tout aussi panoramique vue sur la cité et ses reliefs proches.
 

Plus d’infos

Promperu Francia 120, av des Champs Elysées 75008 Paris – Tél :01 40 70 13 05 - ocexparis@promperu.gob.pe http://www.promperufrancia.fr/contacto.html
 
Y aller
Vol Paris Orly/Madrid/Lima Latam ou Iberia. Puis vol Lima/Chiclayo (Latam). Durée 1h25 sans escale. Retour à Lima par un vol au départ de Trujillo. 1h10 sans escale. La devise est le Sol péruvien. La CB est acceptée dans la majorité des commerces, hôtels et restaurants. Passeport d’une validité d’au moins six mois.
 
Visiter
A Lima
Marché de Surquillo, Segundo Mercado, Surquillo 15037 Lima - Ouvre à 07:00 – Pour goûter toutes les saveurs des régions du Pérou. – Tél +51 990 163 777
Couvent Santo Domingo

Parc de l’amour
Barranco
 
Pause-café à Pacasmayo
 
Atelier de fabrication de coton autochtone Susana Bances Zena Caserio La Raya Tucume – Tél 979 504 892
algodonnativoperu@hotmail.com

Musées
Du site de Tucume, sur le site archéologique de Tucume, à 1 km à l’est du village. Pièces des cultures lambayeque, chimu et inca.
Des tombes royales de Sipan,
Juan Pablo Vizcardo y Guzmán 895, Lambayeque – Tél +51 74 283977 - https://www.peru.travel/fr/attractions/musee-des-tombes-royales
 
Palais Nik Annà Chan Chan
 
Huanchaco
 
Se restaurer

Caplina, réputé pour son Pisco Sour et l’art de préparer le ceviche.

Los Petirrojos 325, San Isidro 15036, Lima - Tél +51 1 4753404

Casa Tambo, Jirón de la Unión 1066, Lima 15001- Réservation obligatoire -Au cœur de la vieille ville de Lima, un lieu chargé d’histoire -Tél +51 983 397 305 - https://casatambo.com.pe/

El Cantaro  2 de Mayo 180 Lambayeque – Tél +51 948 148 892

Big Ben Avenida Victor Larco Herrera 1184, Huanchaco – Tél +51 991 916 650

El Celler de Cler Jr Independencia 588 Trujillo – recettes millénaires et vision d’avant-garde - Tél  +51 44 317191 -
 
Dormir

Hôtel Aloft Lima Miraflores,
Av. 28 de Julio 894, Miraflores Lima - Tél +51 1 5264850

Hôtel Casa Andina Select, Federico Villarreal 115, Chiclayo 14009 – Tél +51 74 234911. Bien situé, non loin du Centre.

Costa del Sol Trujillo Centro,
Jirón Independencia 485, Trujillo - Tél +51 44 232741
Lima, couvent Santo Domingo, Miraflores Parc de l'amour, Tucume Vallée des Pyramides @ Claude Vautrin


13/09/2024
Claude Vautrin




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