Reportage

Ile de la Réunion : Les brodeuses de Cilaos

Sur la commune de Cilaos en plein cœur de l’île de la Réunion, les femmes perpétuent une tradition de broderie mondialement reconnue qui date du 19e siècle.

Reportage et photos David Raynal



Le cirque de Cilaos forme avec les deux autres cirques (Salazie et Mafate) le cœur de La Réunion. Il occupe une superficie de 8 436 ha, délimité par les remparts d’un ancien volcan.
Surnommée la route aux 400 virages, la nationale 5 qui mène au cirque de Cilaos aurait très bien pu être choisie par Henri Georges Clouzot pour  le tournage du Salaire de la peur. Pendant une trentaine de kilomètres, de la commune côtière de Saint-Louis jusqu’au sommet, ce ne sont que lacets sinueux, chaos grandioses et à-pics vertigineux. Eparpillés au beau milieu de ce cirque naturel, vestige de l’un des anciens volcans qui émaillent le paysage démesuré et à couper le souffle de l’île de la Réunion, les femmes de Cilaos perpétuent depuis la fin du 19ème siècle une tradition de broderie originale. Comme bien souvent pour la dentelle et la borderie, tout commence par la volonté farouche et déterminée d’une femme : Angèle Mac-Auliffe. Née le 14 octobre 1877 à Hell-Bourg dans le cirque voisin de Salazie, elle est le quatrième enfant d'un médecin originaire de Bretagne, qui, après des séjours successifs à Zanzibar, Mayotte et Nosy Be à Madagascar, arrive à la Réunion pour prendre en charge le service de santé de l'hôpital militaire de Saint-Denis. Sa mère, native de la Réunion décède à sa naissance. Comme toutes les jeunes filles de bonnes familles, Angèle apprend la broderie blanche et de « jours » pour marquer son trousseau. A cette époque, de nombreuses revues sont éditées par les fabricants de fils pour favoriser la vente de  leur production. Parmi elles, la célèbre encyclopédie écrite par Thérèse de Dillmont et éditée dans plusieurs langues qui voyageait sur les bateaux longs courriers. Elle n’allait pas tarder à donner de grandes idées à Angèle... 

Une association pour la promotion de la dentelle de Cilaos a vu le jour en 1983 pour sauvegarder et développer ce patrimoine unique.
Naissance des Jours de Cilaos

Encouragée par son père, Angèle, autodidacte, s'initie et se perfectionne dans le délicat travail des Jours. Âgée désormais de 23 ans, maîtrisant parfaitement la technique des fils tirés et brodés, elle suit son père nommé médecin de l'établissement thermal de Cilaos alors en plein essor. Dans un pavillon, situé à l'arrière de la maison paternelle, elle réunit des jeunes filles auxquelles elle enseigne la broderie et les Jours. Elle épure ce qu'elle a appris dans les livres, étudie de nouveaux passages de fils, imagine des formes proches de la faune et de la flore luxuriante de l’île. Mieux encore, elle invente des fleurs imaginaires portant des noms de France ou bien donne à ses Jours des noms qui garderont, à tout jamais leur secret. En 1905, son atelier compte vingt brodeuses. C’est à cette période qu’Angèle créé des "appliqués" en s'inspirant de la dentelle de Tenerife aux Canaries. Une technique pratiquée par les Espagnols au XVIe et XVIIe siècle qui consiste à appliquer le Tenerife terminé sur une toile. Le moule ne sera en effet inventé qu'au XIXe siècle. Cette adaptation, permet à Angèle de se libérer des fils de chaîne et de trame, de lancer les fils nécessaires à la création de nouvelles formes et de créer des motifs plus importants. Ce procédé est à l'origine des fameux Jours de Cilaos appelés aussi Jours Anciens qui font encore aujourd’hui avec le thermalisme, le vin et la culture des lentilles la fierté, la renommée et le charme de la ville.

Depuis l’ouverture de la Maison de la Broderie, les Jours de Cilaos connaissent un rayonnement international.
Maison de la broderie

En six ou sept ans, Angèle forme un noyau d’ouvrières qualifiées : les ajoureuses. En 1908, elle se rend à Saint-Denis pour accueillir l'une de ses sœurs de retour de voyage. En dépit des précautions prises par les services sanitaires, elle attrape une méchante rougeole qui vient elle aussi de débarquer par bateau de Madagascar. La santé d’Angèle périclite rapidement et elle succombe à l’épidémie le 29 mai 1908 à l'âge de 31 ans. Grâce à l’opiniâtreté d’Angèle,  la technique des jours de Cilaos se transmet aujourd’hui encore de mères en filles, de voisines à voisines, tout en évoluant sans cesse. Au fil du temps, de nouveaux points ont été inventés, d’autres plus anciens ont été modifiés, au gré de la fantaisie et de l’inspiration des artisanes. Ce type de broderie a toujours demandé beaucoup de savoir-faire et de patience, sachant que la confection d’un drap ou d’une nappe de soie réclame respectivement six et huit mois de travail. C’est certainement la raison pour laquelle l'institution religieuse Notre-Dame-des-Neiges de Cilaos décide de créer en 1953, un atelier de borderie dont la direction est confiée à Sœur Anastasie (Marie-Hélène Técher). Pendant de nombreuses années, elle s’évertue à former plus d'une centaine de jeunes filles, tandis que ses qualités professionnelles sont officiellement reconnues en 1983, lorsqu’elle obtient la médaille d'or au concours du Meilleur Ouvrier de France dans la catégorie Jours Brodés. A partir des années 80, la vente des broderies se fait généralement au domicile des brodeuses ou directement sur le bord des rues. Aussi, devant le désintérêt des jeunes filles pour la technique des fils tirés et brodés, une association pour la promotion de la dentelle de Cilaos voit le jour en 1983 pour sauvegarder et développer ce patrimoine unique. L'année suivante, sous l'impulsion du maire Irénée Accot, une Maison de la Broderie est ouverte qui enseignera la broderie d'art et les « Jours de Cilaos » en option régionale pour l’obtention du CAP.

« Nous accueillons en stage régulièrement des personnes qui font le déplacement depuis la métropole » explique Suzanne Maillot (à gauche sur la photo de gauche), meilleure ouvrière de France 1993.
Rayonnement international

Depuis l’ouverture de la Maison de la Broderie, les Jours de Cilaos connaissent un rayonnement international grâce à la venue ces dernières décennies d’un nombre croissant de visiteurs métropolitains et étrangers. La qualité des brodeuses cilaosiennes est aussi régulièrement reconnue à l'échelon national, à travers le concours des « Meilleurs Ouvriers de France ». De nos jours une vingtaine de brodeuses à domicile et quatre salariées à l’atelier dont deux meilleures ouvrières de France, Suzanne Maillot et Olivia Rivière (lauréates 1993 et 2011), préservent pour l’association ce savoir-faire unique et néanmoins menacé. Sachez toutefois, que si vous voulez acquérir un beau napperon ou une nappe, il faudra casser votre tirelire, entre 90 et 3000 euros selon les pièces et le temps passé. Une autre solution, moins onéreuse si l’on excepte le trajet aérien depuis la métropole, consiste à visiter sur place la Maison de la Broderie pour admirer les trésors qui ont fait, font et feront encore pour longtemps les beaux « Jours de Cilaos »…

D.R.

Remerciements :

Municipalité de Cilaos et le service documentation de la Maison de la Broderie de Cilaos.

La nationale 5 qui mène au cirque de Cilaos est surnommée la route aux 400 virages.
Pour en savoir plus :



www.broderie-cilaos-reunion.com

Adresse :
Association pour la Formation de la Dentelle -
4 route des écoles 97413 Cilaos –
Tel. +33 (0)2 62 31 77 48.)
Horaires: lundi au dimanche de 9h30 à 12h et de 14h à 17h.




Office de tourisme de la Réunion :
www.reunion.fr


La technique des jours de Cilaos se transmet aujourd’hui encore de mères en filles, de voisines à voisines, tout en évoluant sans cesse.


31/08/2012
David Raynal




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