Gastronomie

« Le Bouillon Julien » à Paris dans la pure tradition des brasseries populaires

Durant le Second Empire, les bouillons, restaurants ultra-populaires, fourmillent ici et là dans la capitale avant de disparaître progressivement pour des brasseries ultra-chics. Puis, à l’aune du troisième millénaire, ils refont surface avec force en service continu, souvent dans un décor Art nouveau à l’image de l’incontournable Bouillon Julien où « tout est beau, bon, pas cher ».


Par Bertrand Munier



Non loin de la gare de l’Est, le « Bouillon Julien » est une invitation à déjeuner ou à dîner dans un cadre Art nouveau… et pour pas cher. ©Alexandre Marchi

En quelques secondes, le client est happé par la période dite Belle Époque. ©Alexandre Marchi
Un bouillon ! Quèsaco ?
 
Alors que Louis-Napoléon Bonaparte s’est déclaré empereur des Français, après son fracassant Coup d’État du 5 décembre 1851, la capitale effectue sa mue par l’intermédiaire du baron Haussmann, préfet de la Seine.

Dans ce tourbillon d’événements du Second Empire, de nombreux ouvriers parisiens n’ont que quelques sous en poche, qui plus est, ceux officiant au marché des Halles. Pour ce faire, en 1860, Pierre-Louis Duval, boucher de son état, à l’idée ingénieuse de créer un ersatz de restaurant pour tous ces travailleurs. En outre, il leur propose de se sustenter avec un repas chaud à prix modique. C’est ainsi qu’il prépare quotidiennement un hochepot de bœuf dans son bouillon, une spécialité du nord de la France, concoctée par ses soins avec des bas morceaux délaissés totalement par sa clientèle habituelle et surtout élitiste.
 
Un plat qui donne aussitôt son nom à l’établissement et ensuite à toute une chaîne de « bouillons » par les descendants Duval et nourrir Paris pour quelques francs.

Progressivement, la concurrence fait son apparition avec des menus plus étoffés et des décors somptueux. D’autant plus, qu’à l’époque d’insouciance et de modernité de la Belle Époque (1900-1914), l’Art nouveau est à son apogée. Les « bouillons » ne vont pas déroger à cet élan artistique et faire appel à d’illustres maîtres céramistes, ébénistes ou verriers. Par extension, la bourgeoisie locale s’invite au festin. En 1900, il est dénombré jusqu’à 100 « bouillons » dont le célèbre « Julien » qui ouvre ses portes en 1906.

Un décor fabuleux signé notamment par le maître verrier Louis Trezel. ©Alexandre Marchi

Un décor fabuleux signé notamment par le maître verrier Louis Trezel. ©Alexandre Marchi
Un lieu mythique dans un décor féerique
 
En poussant la porte du « Bouillon Julien », le client écarquille tout grand les yeux devant la splendeur des lieux. Il y a de quoi ! Du sol au plafond, l’Art nouveau est à l’honneur.

Ce mouvement artistique, qui se développe en Europe à la fin du XIXème siècle, trouve son aspiration dans la nature, le monde animal et végétal. Ses détracteurs le dénomment de « style nouille ». Quoi qu’il en soit, il est présent en Allemagne, Autriche, Espagne, Hongrie et en France… essentiellement à Nancy grâce à son école éponyme placée sous l’égide des, Daum, Gallé, Grüber, Majorelle…
 
Pour se démarquer de ses concurrents, le fondateur de l’établissement Édouard Fournier fait appel à des maîtres influents de ce courant artistique (1902). De prime abord, son regard se tourne vers Louis Majorelle, l’un des plus célèbres ébénistes de l’école nancéienne. Son travail se matérialise entre autres avec un extraordinaire bar en acajou de Cuba recouvert d’étain. Une œuvre qui lui sert de tremplin pour réaliser le mobilier de l’historique brasserie Excelsior située dans sa ville nancéienne en Lorraine (1911).
 
Conjointement à ceci, le maître verrier parisien Louis Trezel n’est pas en reste. S’appuyant directement des œuvres de l’artiste tchèque Alfons Muchas, il met en valeur quatre splendides panneaux  « femmes fleurs », sortis de ses ateliers franciliens à Levallois-Perret.

Représentant les quatre saisons, ces nymphes sont représentées individuellement dans quatre panneaux de verre se faisant face, à l’effigie de l’actrice Sarah Bernhardt. Magnifique ! De son côté, Charles Buffet (père du peintre expressionniste Bernard Buffet) est sollicité au titre de miroitier, pour dessiner la verrière dont la réalisation revient à Georges Guenne dont le nom entre dans la postérité, quasi uniquement grâce à  son œuvre visible au « Bouillon Julien ». Les miroirs, dans lesquelles se reflètent à l’infini la salle de restauration, sont ornés d’augustes paons, signés par le peintre auvergnat Armand Segaud. Au plafond des hérons s’amusent, des phénix s’envolent sous une frise de feuilles de pissenlit. Aussi faut-il souligner que la technique du staff développée sous le Second Empire atteint en ces lieux son sommet. Quant aux carrelages, avec des motifs mâtinés de géraniums et de marguerites, ils sont attribués aux faïenceries Boulenger à Choisy-le-Roi, sises également en Île-de-France. Au sortir des années 1990, l’ensemble est classé Monument historique, ainsi que la façade sur rue de l’immeuble, incluant la devanture du « Bouillon Julien » et la toiture correspondante.

Un siècle plus tard, alors que le « Julien » n’est plus que l’ombre de lui-même après s’être écarté de sa vocation initiale, les Grandes Brasseries de l’Est (GBE) se portent acquéreur de l’établissement.

« 
En effet, concède Pascal Le Bihan, directeur d’exploitation, depuis la rentrée 2018, Julien est redevenu un Bouillon dans son esprit d’origine. Notre seule ambition est de faire une cuisine simple, bonne en respectant les saisons avec des produits de qualité. Toutefois, avant de frapper les trois coups du brigadier et d’ouvrir notre nouvelle scène, nous avons entrepris d’important travaux de rénovation pour redonner son lustre d’antan à cette prestigieuse enseigne parisienne dont la saga mérite d’être contée… »


 

La couleur Céladon (verte) domine avec éclat l’ensemble de l’établissement. ©Alexandre Marchi
Plusieurs propriétaires pour une enseigne mythique
 


En effet, la genèse de cet établissement revient réellement à l’architecte et ingénieur Edouard Fournier qui dépose un permis de construire pour édifier un immeuble, à l’emplacement d’un restaurant signalé en 1850, dans un secteur où la vie artistique et mondaine parisienne est à son paroxysme (1902).

Au cœur de la capitale, rue du faubourg Saint-Denis, il ouvre un espace aux confins de la cuisine populaire et de la mondanité, à l’appellation « Gandon-Fournier » et offrir à ses clients, un spectacle haut en couleurs autant pour les pupilles que les papilles (1906). Quatre ans plus tard, l’espace prend la dénomination « Calmels & Causse ». Quotidiennement et avec  empressement, le Tout-Paris pousse avec frénésie la porte des lieux. En 1924, Julien Barbarin hérite de l’immeuble et lui lègue son prénom, en 1938. Ainsi naît le notoire « Bouillon Julien ».
 
 
La suite ? Le « Bouillon » se délite progressivement avant qu’un énième propriétaire le rachète en 1975. De facto, il en est fini de l’esprit liminaire. Place à la « Brasserie Julien », à un concept plus urbain et gastronomique.

 

Malgré un succès patent durant trois décennies, il y a loin de la coupe aux lèvres. Au troisième millénaire, le « Julien » ne fait plus recette ! Un nouveau souffle s’impose… et rapidement. Grâce aux Grandes Brasseries de l’Est avec à sa tête Jean-Noël Dron, le 5 octobre 2018, l’établissement redevient le « Bouillon Julien » suite à des travaux de rénovations entreprit par l’artiste britannique John Whelan et sa société The Guild of Saint Luk. Ce designer atypique mais ô combien talentueux, diplômé d’Oxford, découvre que la couleur initiale des murs n’était pas beige mais en réalité d’un vert Céladon. Une très belle surprise pour le nouvel propriétaire de céans.


 

Pascal Le Bihan (à droite), aux côtés du chef Christophe Moisand (directeur des cuisines du groupe Trasco), est aux rênes entre autres du « Bouillon Julien ». ©Alexandre Marchi
Christophe Moisan, un chef étoilé depuis dix-sept ans, met la main aux bouillons !




Il s’ensuit d’élaborer une carte en adéquation avec l’esprit des bouillons. « 
Pour ce faire, renchérit Pascal Le Bihan, nous avons sollicité Christophe Moisand, chef étoilé durant dix-sept années. Sans tergiverser, il répondit positivement à notre demande tout en apportant son expérience professionnelle pour les autres adresses de notre société. »


En effet, le nouveau directeur des cuisines du groupe Trasco, comprenant une quinzaine de brasseries à Paris et dans l’Est de la France, conjugue sur place son savoir-faire avec son chef exécutif 
 Julien Robineau, en avouant : 


« Quasi immédiatement, j’ai été séduit par le projet de Jean-Noël Dron ainsi que par les établissements qu’il dirige, qui ont une vraie histoire, une vraie âme. Ce sont vraiment des enseignes extraordinaires et un véritable challenge qui s’offrait à moi. ».

Des plats simples mais qui font recette… à l’image de l’œuf mayonnaise. ©Alexandre Marchi ; Qui dit « Bouillon » dit l’incontournable bouillon de bœuf avec sa macreuse éponyme. ©Alexandre Marchi
Des prix défiants toute concurrence
 
Certes, la carte ne propose pas des mets gastronomiques mais ce n’est pas l’esprit et le but du « Bouillon Julien ». 

En toute sincérité, les prix sont attractifs et le client est rassasié dans un lieu de toute beauté en mangeant pour pas cher, sain et simple.
Par exemples, d’emblée, l’intemporel hareng pomme à l’huile ouvre l’appétit tout comme les indémodables œufs durs mayonnaise, les poireaux vinaigrettes ou les escargots à l’ail et au persil… en déboursant au maximum 8 euros. Viennent ensuite tous les grands classiques : andouillette de Troyes rehaussée d’une sauce moutarde à l’ancienne, demi coquelet grillé habillée d’une sauce à la diable, accompagné de frites, filet de dorade snackée avec des courgettes et une sauce vierge, navarin d’agneau printanier, tête de veau sauce gribiche, saucisse purée avec un jus à la sarriette, salade iceberg et volaille grillée façon César…
 
Quant aux puristes, ils conseillent le bourguignon-coquillettes. Des plats qui oscillent entre 9,90 euros et 13,90 euros. À ce prix, on en redemande et on y revient ! Les touches salées n’excèdent pas 4 euros (bleu d’Auvergne, brie de Meaux AOC, caillé de chèvre, Cantal AOP…). Pour un euro de plus les épicuriens du sucré dévoreront avec gourmandise un panel de petites douceurs (blanc manger coco avec un coulis exotique, choux Chantilly, crème caramel ou de marron meringuée, mousse au chocolat…) Et puis, il y a l’incontournable bouillon, réalisé avec la macreuse de bœuf saisie à la plancha, accompagné de pâtes fregola avec leurs formes si particulières de petites boules, rehaussé d’une mirepoix de carottes, de citronnelle et coriandre. 

En somme, le « Bouillon Julien » est synonyme de bonheur culinaire en toute simplicité en un lieu mythique , avec un service rapide et des serveurs habillés dans la pure tradition des codes des cafés de Paris (noir et blanc), des plats à bas prix et de tradition française, des produits frais accessibles à toutes et à tous… au déjeuner, dîner et souper.
 


 

Un endroit à Paris qui garde tout le charme des brasseries d'antan @ Bouillon Julien
Enfin, si vous avez la satisfaction d’être installé à la place mythique 24, vous aurez la chance de replonger dans les années 1960, quand la chanteuse Édith Piaf venait s’attabler pour attendre l’amour de sa vie… le légendaire boxeur Marcel Cerdan.


Bertrand Munier

En service continu de midi à minuit. ©Alexandre Marchi
Plus d’Infos 
 






« Le Bouillon Julien »
 
16 rue du Faubourg Saint-Denis
75010 Paris
 
Métro
Strasbourg - Saint-Denis ou Bonne Nouvelle
 
Horaires d’ouverture
 

Tous les jours de midi à minuit
 


Tél : 01 47 70 12 06
Mél :
contact@bouillon-julien.com
Site : www.bouillon-julien.com
 


18/06/2019
Bertrand Munier




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