Paris n’est sans doute pas le centre du monde. Mais pourtant, toutes les parties du monde s’y retrouvent, dans des voisinages qui rassemblent les continents, détricotant les frontières arbitraires et couturant des points de passage inattendus. C’est entre autre chose ce que nous montre l’artiste Shen Yuan, dans ses installations visibles actuellement à l’exposition J’ai deux amours, qui se tient jusqu’au 24 juin 2012 à La Cité nationale de l’histoire de l’immigration, Porte Dorée, à Paris : ce sont cinq trampolines reproduisant en patchwork la carte des Chinatown de certaines villes du monde : Paris, Londres, Liverpool, San Francisco et New York. Le plaisir est aussi de s’allonger sur ces matelats accueillants et doux. Si si ! C’est permis, et même recommandé. Ces géographies deviennent même le lit de nos désirs d’ailleurs, un ailleurs à la fois si loin, si proche.
En marchant l’autre jour du côté de l’avenue de Choisy, je retrouvais justement quelque chose de la Chine : une rumeur de rencontres de langues, des senteurs, et surtout des attitudes. Les corps parlent en général bien plus que ne le croit le voyageur impassible. Vers dix heures du matin, en semaine, ce sont les personnes plutôt d’un certain âge qui sont dans les rues. Il faisait humide en ce jour de décembre pluvieux cette année, une brume très légère flottait sur les trottoirs. Mais déjà, des vendeurs de préparations culinaires s’activaient, proposant leurs plats à réchauffer. Des petits groupes bavardaient, parfois on surprend la véhémence des propos, ou bien ce que l’on croit être de la véhémence, et qui n’est qu’une accentuation propre aux langues prononcées.
L’histoire de ce quartier, on le sait, n’est pas indifférente à l’une de ces grandes horreurs qui ont transpercé le vingtième siècle. C’est vers la moitié et la fin des années 1970 que quadrilatère, objet d’une rénovation immobilière assez hasardeuse, a vu arriver près de cent mille réfugiés chinois, fuyant les persécutions menées par les régimes cambodgiens et vietnamiens. Le quartier est devenu depuis le plus grand centre d’approvisionnement asiatique en Europe. Les bijoutiers – on ne le sait pas vraiment, mais la joaillerie chinoise est en train de tailler des croupières à ceux que l’on connaît, regardez du côté de Qeelin et de Chow Tai Fouk – ont des vitrines brillantes de diamants. Dans les boutiques des rues adjacentes, entre l’avenue de Choisy et l’avenue d’Ivry, des boutiques proposent les jade, la cornaline, l’œil-de-tigre. Regardez de près la disposition de l’espace de ces boutiques : elles ont à voir avec le Feng shui. En plein Paris, on peut percevoir l’écho lointain des vibrations que d’anciens chamanes ont identifiées et enseigné le frisson.Mais la Chine, c’est aussi un ensemble de stéréotypes, en particulier économiques, et désastreux. L’usine du monde, oui.
En marchant l’autre jour du côté de l’avenue de Choisy, je retrouvais justement quelque chose de la Chine : une rumeur de rencontres de langues, des senteurs, et surtout des attitudes. Les corps parlent en général bien plus que ne le croit le voyageur impassible. Vers dix heures du matin, en semaine, ce sont les personnes plutôt d’un certain âge qui sont dans les rues. Il faisait humide en ce jour de décembre pluvieux cette année, une brume très légère flottait sur les trottoirs. Mais déjà, des vendeurs de préparations culinaires s’activaient, proposant leurs plats à réchauffer. Des petits groupes bavardaient, parfois on surprend la véhémence des propos, ou bien ce que l’on croit être de la véhémence, et qui n’est qu’une accentuation propre aux langues prononcées.
L’histoire de ce quartier, on le sait, n’est pas indifférente à l’une de ces grandes horreurs qui ont transpercé le vingtième siècle. C’est vers la moitié et la fin des années 1970 que quadrilatère, objet d’une rénovation immobilière assez hasardeuse, a vu arriver près de cent mille réfugiés chinois, fuyant les persécutions menées par les régimes cambodgiens et vietnamiens. Le quartier est devenu depuis le plus grand centre d’approvisionnement asiatique en Europe. Les bijoutiers – on ne le sait pas vraiment, mais la joaillerie chinoise est en train de tailler des croupières à ceux que l’on connaît, regardez du côté de Qeelin et de Chow Tai Fouk – ont des vitrines brillantes de diamants. Dans les boutiques des rues adjacentes, entre l’avenue de Choisy et l’avenue d’Ivry, des boutiques proposent les jade, la cornaline, l’œil-de-tigre. Regardez de près la disposition de l’espace de ces boutiques : elles ont à voir avec le Feng shui. En plein Paris, on peut percevoir l’écho lointain des vibrations que d’anciens chamanes ont identifiées et enseigné le frisson.Mais la Chine, c’est aussi un ensemble de stéréotypes, en particulier économiques, et désastreux. L’usine du monde, oui.
Dans un roman éblouissant, la jeune auteure Ling Xi, raconte cette Chine intérieure et désastreuse, sédimentée elle non des vibrations chamaniques, mais bien des secousses d’une histoire contemporaine de grande violence. En 2010, elle a publié chez ce jeune éditeur pourtant centenaire, Maurice Nadeau, La Troisième moitié. C’est l’histoire de laissés pour compte, qui semblent vouloir dépasser par leur frénésie d’espérer, la frénésie de leur exploitation. Cela se passe dans la-plus-grande-ville-du-monde, et là, dans une usine d’interrupteurs. S’emparant d’une histoire d’amour improbable entre Guo Leda, un poinçonneur surdiplômé et cherchant désespérément à donner sens à une existence plongée dans le doute, l’ennui et le déshonneur, et Han Saite, une gardienne de vidéoclub trois plus âgée que lui, plutôt bornée et totalement inculte, Ling Xi parvient à donner voix à la rumeur dans laquelle se trame la parole urbaine et pourtant esseulée, des êtres traités comme des variables de la productivité, qui se désignent eux-mêmes comme des « voleurs, sans parole, sans honneur, sans gloire ni privilèges, sans même un nom dans le conte de fée ». Car c’est bien une légende vivante que devient, à l’échelle nationale, ce mariage incertain, et qui déclenche des vagues d’hystérie collective et d’amour sans borne pour la nouvelle idole, Guo Leda. C’est un texte magnifique, dense et drôle, et qui laisse un arrière goût d’amertume : c’est à ce prix là que nous téléphonons dans la rue, de ce côté du monde. Mais surtout, en remontant dans le passé de Han Saite, le roman raconte les invasions, les guerres, les disparitions, et cette parade sanglante de la défection de l’intelligence que fut la révolution culturelle. Écoutons un instant cette vox populi tenter de comprendre un des aphorismes du Grand Timonier : « On n’y comprenait plus rien. Sauf les cadres. « On ne rend pas les terres, Compatriotes ! répétaient-ils. On les collectivise ! C’est deux choses différentes ! Le président Mao a dit : ‘L’Histoire évolue en spirale ascendante !’ C’est pourquoi on a l’impression de revenir en arrière alors qu’en réalité, on a gagné en hauteur ! » Trois points d’exclamation au minimum. C’est à ces métaphores-là qu’on reconnaît la grandeur d’un cadre ». Après une telle séance, il faut bien se résoudre à noyer son amertume dans un alcool frelaté… Ling Xi s’est expliquée sur le sens de son roman, dans un entretien qui renforce encore l’impression que l’on a, à la lecture, de l’arrivée d’un grand écrivain.
Mais après cette lecture, je me permets de conseiller une visite aux photos de Jinroh, ce promeneur discret des rues traversières, en Chine, et ailleurs : il sait capter l’instant, les sourires, la disponibilité à l’instant qui flotte devant les regards. Ce sont de très belles images, à la fois en contrepoint du roman de Ling Xi, mais qui laissent aussi pressentir de quelle vérité les mots de l’écrivain sont porteurs. Yves Rinauro
Mais après cette lecture, je me permets de conseiller une visite aux photos de Jinroh, ce promeneur discret des rues traversières, en Chine, et ailleurs : il sait capter l’instant, les sourires, la disponibilité à l’instant qui flotte devant les regards. Ce sont de très belles images, à la fois en contrepoint du roman de Ling Xi, mais qui laissent aussi pressentir de quelle vérité les mots de l’écrivain sont porteurs. Yves Rinauro
Y aller
l’exposition J’ai deux amours, qui se tient jusqu’au 24 juin 2012 à La Cité nationale de l’histoire de l’immigration
Porte Dorée, à Paris
www.histoire-immigration.fr/
A Lire
La Troisième Moitié de Ling Xi
Editions Maurice Nadeau
l’exposition J’ai deux amours, qui se tient jusqu’au 24 juin 2012 à La Cité nationale de l’histoire de l’immigration
Porte Dorée, à Paris
www.histoire-immigration.fr/
A Lire
La Troisième Moitié de Ling Xi
Editions Maurice Nadeau
Le Marché, photo de Beillou