On cherche alors de quoi lire, dans l'illusion du voyage intérieur : plus de six cents romans s'offrent, dans des postures souvent impudiques (photo DR)
Nous nous étions arrêtés quelque part du côté du Golfe Persique. Depuis l'été a passé, et nous recevons maintenant le temps de l'automne. Il a fallu reprendre le collier, si possible dans des conditions à peu près acceptables. Le regard encore empreint de la beauté du monde, dans l'oreille les paroles du quotidien mais tissées d'une sagesse qui n'a plus cours que dans des lieux éloignés – "le poisson sera goûteux aujourd'hui. Le vent du désert a irrisé la mer, très légèrement cette nuit. Tu choisiras les loups chez M., ils ont l'œil vif, et le corps luisant, comme saisis dans leur élan vers le large" - , on s'est surpris à considérer l'obscénité publicitaire, dès la descente d'avion, comme une de ces agressions dont on avait presque oublié qu'elle était implacable. Au bureau, les stratégies des prédateurs de bazar que l'on s'oblige à côtoyer font figures de querelles de bac à sable et tendent encore à vous infantiliser. On en oublierait presque qu'on est un adulte, tant nos rêves d'enfants sont souillés, justement par ces paroles cacophones. On cherche alors de quoi lire, dans l'illusion du voyage intérieur : plus de six cents romans s'offrent, dans des postures souvent impudiques aux vitrines des grands distributeurs, le long de ces galeries marchandes à quoi ressemblent de plus en plus les grandes villes. Certains sont sans doute remarquables, mais on n'a pas encore le cœur. Ça viendra.
L'un d'entre ces livres, pourtant, attire le regard, par le poisson rouge qui flotte sur la couverture. Derrière lui, un corps drôlement plié. C'est le dernier épisode en date du Poulpe. On se dit alors que quelque chose de ravageur va nous permettre d'apprécier à son juste prix le mainstream culturel dont on voudrait rester sur le seuil. De Margot D. Marguerite on avait particulièrement apprécié La vielle dame qui ne voulait pas mourir avant de l'avoir refait (2009, La Manufacture des livres) puis Lola, reine des barbares (2011, éditions Baleine). Textes violents, hyper même, histoires de vengeance au long cours, et qui racontent l'envers de nos décors, les arrières boutiques de la conscience et de la brillance de nos sociétés. Mais ce qui avait frappé dans l'écriture de cet ancien circassien, de cet acteur bourlingueur et fondateur du Cabaret Sauvage à Paris, était la jubilation dans la langue, qui emporte son lecteur au delà de la présence lénifiante du quotidien, dans la proximité de l'onirisme, et dans les failles de la raison.
Margot D. Marguerite est un écrivain méconnu, et pourtant, il nous parle au plus près de ce que nous essayons de chasser de nos pensées, et qui est pourtant l'essentiel de notre présence.
Margot D. Marguerite est un écrivain méconnu, et pourtant, il nous parle au plus près de ce que nous essayons de chasser de nos pensées, et qui est pourtant l'essentiel de notre présence.
. Gabriel se rend à la poursuite du cirque Tsointsoin et de son clown Tagada, alias Gordon Zola. C'est là que Valeria a été vivante pour la dernière fois.(Photo DR)
Voici donc Pliera bien qui pliera le dernier (2013, éditions Baleine). Gabriel Lecouvreur, le détective aux bras longs et souples, au surnom éponyme de la série qui compte maintenant plus de 195 titres, tout de même, rencontre la belle Valeria, au Pied de Porc à la Sainte-Scolasse, son bar-restaurant-quartier-général. Même il l'arrache des mauvais traitements que lui administre son amant dans la rue. Chez Gabriel, ils se passent des bières improbables que descend le détective à longueur de bar. Ils devisent un moment en même temps qu'ils s'imbibent de quelques verres de rhum vieux. Valeria a du goût : elle vient de loin. Ils passent la nuit ensemble. Faire l'amour avec une contorsionniste, car tel est l'art du cirque pratiqué par Valeria, semble une expérience à la limite du dicible et même du racontable, même si plus tard, l'adversaire historique de Gabriel, Vergeat, des Renseignements Généraux, s'en gaussera. Hélas ! la si belle, si sexy et si souple Valeria est retrouvée suicidée quelque jours après : elle se serait noyée dans un aquarium de quarante par soixante centimètres, dans sa caravane. Bon, c'était une contorsionniste, mais il ne faut quand même pas trop pousser ! Emporté par sa passion de l'autre, et même si l'histoire est terminée, Gabriel veut savoir. Son enquête le conduit quelque part dans le Lot, dans un village qui est comme un non lieu : ce n'est pas le bout du monde, mais sans doute le devine-t-on assez bien depuis Chafouille-Moiletillac. C'est sur la Bave, une rivière charmante. Gabriel se rend à la poursuite du cirque Tsointsoin et de son clown Tagada, alias Gordon Zola. C'est là que Valeria a été vivante pour la dernière fois.
Monde dont l'humanité semble chaque jour se dissoudre, par ce corollaire détestable : la peur, d'abord celle de devenir pauvre, peur dont on nous rebat les oreilles et à laquelle il faut résister. (Photo blog Pénélope. Photo Chantal Postaire)
Ce périple n'est que le départ d'une aventure haletante par laquelle les mots s'entrchoquent, se bousculent dans un humour à froid, tout aussi jubilatoire : lisez le roman dans les transports en commun, et l'on vous regardera. On demandera ce que vous lisez : lisez la phrase à haute voix et vous verrez votre interlocutrice, un moment sur son quant à soi parce que l'obscène déborde, partir d'un éclat de rire rassérénant. Lire un texte de Margot D. Marguerite en public, c'est un bon support de drague, et rien que pour cela, que l'auteur en soit ici publiquement remercié. Si l'on retrouve les constantes imposées de la série du Poulpe, on appréciera aussi le décalage quelque peu parodique. Mais c'est alors une parodie au carré que l'on a sous les yeux.
Le monde du Poulpe alors est beaucoup moins drôle que ce que ses mots en racontent.
C'est celui des eaux profondes sous le pavé des villes et l'herbe verte des campagnes quadrillées de clôtures électriques. C'est là que rôdent les vrais prédateurs, sans domicile identifiable, et qui vaquent à leurs affaires moches, et dont la toile recouvre le monde, comme l'araignée sa proie et qui la digère vivante. Sous les apparences du bonheur, à la surface, ce qui réfrène peut-être le sentiment de la vitalité est bien "l'individualisme effréné, le mépris, la frime et la trouille". Monde dont l'humanité semble chaque jour se dissoudre, par ce corollaire détestable : la peur, d'abord celle de devenir pauvre, peur dont on nous rebat les oreilles et à laquelle il faut résister. C'est par cette crainte des lendemains que les Vergeat et consorts conservent leurs emplois misérables, au service des gagneurs et autres fauves de la grande truanderie, celle qui garde les mains propres. Le pire, ce serait de céder à cette panique généralisée et devenir aussi mauvais que ceux-là. Alors, ceux que le "traffic apporte fortune peuvent dormir tranquilles ; la police est impuissante, la justice ferme les yeux et le troupeau broute".
Oui, décidément, on doit se tenir à distance du mainstream. Le quant-à-soi, une expression désormais ancienne, c'est ce qui garantit quand même qu'on en retienne le caractère intempestif de sa propre présence. L'année peut commencer, et sur les chapeaux de roues. Margot D. Marguerite nous en offre les perspectives radieuses. Oui, radieuses : le pendant de cette violence insoutenable, c'est bien le souci radical de l'autre, et cet amour sans limite que peuvent se porter les êtres. Yves Rinauro
Le monde du Poulpe alors est beaucoup moins drôle que ce que ses mots en racontent.
C'est celui des eaux profondes sous le pavé des villes et l'herbe verte des campagnes quadrillées de clôtures électriques. C'est là que rôdent les vrais prédateurs, sans domicile identifiable, et qui vaquent à leurs affaires moches, et dont la toile recouvre le monde, comme l'araignée sa proie et qui la digère vivante. Sous les apparences du bonheur, à la surface, ce qui réfrène peut-être le sentiment de la vitalité est bien "l'individualisme effréné, le mépris, la frime et la trouille". Monde dont l'humanité semble chaque jour se dissoudre, par ce corollaire détestable : la peur, d'abord celle de devenir pauvre, peur dont on nous rebat les oreilles et à laquelle il faut résister. C'est par cette crainte des lendemains que les Vergeat et consorts conservent leurs emplois misérables, au service des gagneurs et autres fauves de la grande truanderie, celle qui garde les mains propres. Le pire, ce serait de céder à cette panique généralisée et devenir aussi mauvais que ceux-là. Alors, ceux que le "traffic apporte fortune peuvent dormir tranquilles ; la police est impuissante, la justice ferme les yeux et le troupeau broute".
Oui, décidément, on doit se tenir à distance du mainstream. Le quant-à-soi, une expression désormais ancienne, c'est ce qui garantit quand même qu'on en retienne le caractère intempestif de sa propre présence. L'année peut commencer, et sur les chapeaux de roues. Margot D. Marguerite nous en offre les perspectives radieuses. Oui, radieuses : le pendant de cette violence insoutenable, c'est bien le souci radical de l'autre, et cet amour sans limite que peuvent se porter les êtres. Yves Rinauro
Margot D. Marguerite est un écrivain méconnu, et pourtant, il nous parle au plus près de ce que nous essayons de chasser de nos pensées, et qui est pourtant l'essentiel de notre présence (Photo DR).