lindigo-mag.com
lindigomagcom
lindigomagcom
L’Indigo, e-magazine du tourisme. Un regard différent, original et inédit sur les Voyages.
Accueil
Envoyer à un ami
Imprimer
Augmenter la taille du texte
Diminuer la taille du texte
Partager cet article
Culture

Voyages. C'était mieux avant ?

Les journalistes et grands voyageurs, Josette Sicsic et Pierre Josse dressent un inventaire des destinations qu’ils ont jadis tant aimées pour leur exotisme et leur parfum d’aventure, mais aussi parfois aujourd’hui tant détestées en raison du développement du tourisme de masse. Un livre qui s’impose pour voyager cet été en connaissance de cause.

Par David Raynal



Nostalgie ou réalisme, les voyages c'était mieux avant ? Le pont de Brooklyn à New York © Pierre Josse.
Nostalgie ou réalisme, les voyages c'était mieux avant ? Le pont de Brooklyn à New York © Pierre Josse.
Journaliste, consultante, conférencière, Josette Sicsic observe depuis plus de 25 ans, les mutations du monde afin d’en analyser les conséquences sur le secteur du tourisme. Rédacteur en chef du Guide du Routard, Pierre Josse a parcouru la planète pendant 40 ans et rédigé une centaine de guides et ouvrages consacrés aux rencontres et aux voyages.

 

Mettre en commun les experiences et les souvenirs

Les journalistes et grands voyageurs, Josette Sicsic et Pierre Josse dressent un inventaire des destinations qu'ils ont traversées pour le meilleur et parfois le pire @ D.R.
Les journalistes et grands voyageurs, Josette Sicsic et Pierre Josse dressent un inventaire des destinations qu'ils ont traversées pour le meilleur et parfois le pire @ D.R.
Au fil des pages de leur ouvrage publié aux éditions de l’Harmattan sous forme de récits de voyage, nos deux globe-trotters ont choisi de mettre en commun les expériences et les souvenirs des périples qu'ils ont effectués depuis un demi-siècle, pour tenter de comprendre le devenir du secteur touristique.

Au palmarès des grandes destinations mondiales, il y a d’un côté des pays jadis adulés pour lesquels l’espace aujourd'hui se rétrécit, notamment en Afrique et au Moyen-Orient, et de l’autre, des pays autrefois fermés qui s’ouvrent au tourisme et qui deviennent aujourd’hui tendance, notamment en Amérique latine et en Asie.

Tour à tour optimistes et pessimistes, nos deux amis aux semelles de vent ne sombrent pourtant ni dans les illusions, ni dans les esquisses apocalyptiques du monde de demain. Cet ouvrage n'est donc ni un pamphlet de plus sur les nuisances du surtourisme, du changement climatique et des conflits, ni un simple recueil de souvenirs nostalgiques. Il est la résultante de deux façons d'avoir vécu le monde en toute curiosité et humanité depuis le grand bond en avant du tourisme dans les années d'après-guerre, jusqu'à cette drôle d'année 2020 verrouillée par le Covid.

Il apporte enfin par des encadrés pratiques en forme de synthèse, une tentative de réponse à l'une des affirmations les plus répandues dans l'opinion, selon laquelle : "c'était mieux avant !"

Interview croisée avec deux baroudeurs professionnels :

Après plus de 50 ans d’itinérance, quel regard portez-vous sur la notion de voyage ?

Josette Sicsic : Je travaille depuis de nombreuses années sur les pratiques et les comportements touristiques. J’ai commencé à voyager très jeune avec mes parents, puis en routarde avec une amie. Avec ce livre, je me suis dit que j’allais tout de même raconter à mes enfants, ce que nous avions vécu en Inde ou au Mexique dans les années 70, à une époque où l’informatique et les réseaux sociaux n’existaient pas. Aujourd’hui, il y a 300 millions de personnes qui vivent du tourisme pour 1,3 milliards de voyageurs annuels, ce qui change la donne en termes de développement des transports, modification des paysages, destruction de la vie sociale ou artificialisation des sols. En même temps, il y a depuis quelques temps une vraie prise de conscience en ce qui concerne le respect et la considération des cultures locales, le tourisme écoresponsable et le slow tourisme.  Il ne s’agit pas de tuer une poule aux œufs d’or qui représente par exemple en France 100 millions de visiteurs par an et 8% du produit intérieur brut (PIB).

Pierre Josse : Contrairement à Josette, je ne suis pas un voyageur au long cours. En 50 ou 60 ans de voyages, je ne suis jamais resté plus de trois semaines dans un pays. Cela était dû au rythme de production des guides du Routard. Mon rôle n’était pas de rester très longtemps sur une destination, mais de donner envie aux gens d’y aller. Aujourd’hui, nous voyons les ravages du surtourisme. A Barcelone des milliers de gens ont manifesté et attaqué avec des pistolets à eau tous les touristes qui étaient en train de manger et de boire sur des terrasses de café. Venise a perdu en 50 ans la moitié de ses habitants en raison notamment de la surfréquentation et de la spéculation immobilière qui transforment leur appartement en Airbnb.  Mais dans le même temps en Colombie, entre Bogota et Medellin, des habitants ont décidé après qu’une émission de télévision fasse l’apologie de leurs magnifiques gorges et précité chez eux des milliers de touristes de contrôler efficacement les flux, en imposant qu’il n’y ait plus aucun visiteurs pendant au moins une semaine tous les deux mois. De la même façon en Suisse, ce sont les habitants d’une vallée très fréquentée qui ont décrété qu’on ne rentrerait plus dans le village si on ne prenait pas au moins deux nuits d’hôtel. C’est radical, mais il faut aussi que les gens profitent dans une juste proportion de la manne touristique.
Il y a depuis quelques temps une vraie prise de conscience en ce qui concerne le respect et la considération des cultures locales, le tourisme écoresponsable et le slow tourisme © David Raynal
Il y a depuis quelques temps une vraie prise de conscience en ce qui concerne le respect et la considération des cultures locales, le tourisme écoresponsable et le slow tourisme © David Raynal

Qu’est-ce qui vous a donné l'envie de faire ce livre ?

J.S. : En dehors de mon envie de transmission évoquée plus haut, mon idée était de montrer dans ce livre, quel impact l’industrie du tourisme peut avoir dans tous ses aspects géopolitiques, économiques, technologiques, démographiques ou environnementaux sur la pratique du voyage. La situation n’est pas figée et évolue encore de nos jours grandement d’un pays à l’autre. Avec ses 6 à 10 millions de touristes internationaux annuels, il n’y pas de risques de surtourisme en Inde. Mais il existe un fort tourisme intérieur avec des millions d’Indiens qui se déplacent pour visiter de la famille ou participer à des pèlerinages hindous, comme celui cette année de la Kumbh Mela qui a lieu tous les 12 ans et qui réunit selon les éditions près de 100 millions de personnes sur les rives du Gange. La problématique est complètement différente avec des pays comme la République Dominicaine qui ont presque tout misé sur le tourisme de masse, la Thaïlande qui tente de concilier destination bon marché et découverte des tribus, coutumes et sociétés traditionnelles, ou la Grèce qui a longtemps accueilli 10 millions de touristes par an et qui vise le chiffre record de 32 millions cette année.

P.J. : Ce livre est aussi pour moi un hommage à ma maman  qui m’a pris à 17 ans par le colbac, m’a mis sur un bateau au Havre pour New York en me disant « Go West Young Man ». Après plusieurs jours de traversée, ce fut une arrivée à New York absolument splendide, dans une ville mythique où il y avait encore en 1962 les pontons en bois vermoulus, les bateaux à vapeur, tandis que Battery Park et les Twin Towers n’existaient pas. Nous avons vécu un moment d’émotion incroyable, puisque le capitaine du bateau a fait ralentir le navire pour que nous n’arrivions pas de nuit et que nous fassions une entrée triomphale, dans le bruit des sirènes et des brumes qui commençaient à s’élever. J’ai également eu envie à travers ce livre de reproduire toutes les émotions des différents pays que j’ai parcourus et décrits dans mes guides. J’ai eu des rapports esthétiques, spirituels, affectifs, très différents d’un pays à l’autre, ce qui m’a transmis le désir d’exprimer des émotions et de montrer tout au long de ma vie l’évolution des pays visités.
il existe en Inde un fort tourisme intérieur avec des millions d’Indiens qui se déplacent pour visiter de la famille ou participer à des pèlerinages hindous © NYC & Company, office du tourisme de New York City, David Raynal.
il existe en Inde un fort tourisme intérieur avec des millions d’Indiens qui se déplacent pour visiter de la famille ou participer à des pèlerinages hindous © NYC & Company, office du tourisme de New York City, David Raynal.

Qu’est qui a changé dans la représentation et la perception du monde ?

J.S. :  Dans les années 70, nous ne disposions pas de toute l’iconographie actuelle. La connaissance que nous avions de l'ailleurs provenait par exemple des documentaires de la collection « Images du monde ». Nos représentations de l'étranger passaient forcément par l’imaginaire. Si je suis allée à México, c’est parce que j’avais lu l’ouvrage de Malcolm Lowry, Au-dessous du volcan, mais je n’avais absolument aucune idée de ce qu’était véritablement le Mexique. Je pense que si j’avais 20 ans aujourd'hui, je serai guidée par d’autres images du Mexique, comme les plages aménagées de Cancún, le Jour des Morts et ses déguisements extravagants le 2 novembre ou le narcotrafic.

P.J.: Mon approche d’un pays est rarement déterminée par la lecture d’un bouquin. Je suis plus souvent mû par une démarche politique. Ce qui m’intéresse dans la perception d’un pays c’est comment fonctionne sa société. Comment les gens se battent pour l’égalité, contre l’exploitation ? Dans les pays de lutte, il y a une atmosphère complètement différente de celle des pays touristiques qui sont plus accessibles. Il y a une atmosphère authentique qui nous permet de mieux comprendre les gens, leur volonté de vivre, leur culture. L’exemple le plus emblématique a été pour moi l’Irlande. Pendant deux ou trois ans, je me suis pas du tout préoccupé des paysages qui sont pourtant sublimes. J’étais à Derry et à Belfast, au cœur des événements et j’ai tout d’abord évoqué la solidarité, la gentillesse, la qualité d’accueil des Irlandais, qui dans ces moments difficiles et cruciaux, nous associaient à leur débat. Cela reste des émotions à vie. C’est cette représentation de l’Irlande que j’ai tout d’abord voulu mettre en avant, avant les images de pubs et de musique celtique. Ensuite est venue bien sûr la littérature. L’Irlande est un pays de 5 millions d’habitants qui a enfanté quatre prix Nobel de littérature. C’est un fait unique dans le monde par rapport au nombre d’habitants et les Seamus Heaney, William Butler Yeats, George Bernard Shaw et Samuel Beckett resteront à jamais gravés au patrimoine culturel mondial et dans les mémoires collectives.
Nos représentations du monde passaient forcément par l’imaginaire © CATA Central América Tourisme Agency, David Raynal.
Nos représentations du monde passaient forcément par l’imaginaire © CATA Central América Tourisme Agency, David Raynal.

Alors les voyages, était-ce mieux avant ?

J.S. :  Personnellement, je ne le pense pas. Il ne faut pas trop mythifier cette époque, parce que nous n’avions pas de carte bleue, d’Internet ou de téléphone portable, les appels en PCV depuis les Etats-Unis équivalaient au salaire mensuel d’un instituteur. Pendant cette période se déplacer coutait très cher. Ce luxe était réservé à ceux qui en avaient les moyens et qui pouvaient se payer des billets sur des lignes régulières. Puis il y a eu les charters qui ont permis à des milliers de jeunes de partir avec des sacs à dos.

 P.J.:   Moi je suis plutôt pour mythifier cette période. Du fait que nous n’avions pas à cette époque de communication, de portable, de tablette, la seule relation que nous avions avec le pays, c’était le contact avec les gens. Ils étaient naturellement les transmetteurs de leur savoir et de leurs connaissances et à l’initiative de la rencontre et des échanges. Alors que maintenant, beaucoup de gens et d’institutions sont totalement tributaires des réseaux sociaux. En Afrique, un continent qu’il est aujourd’hui difficile de parcourir dans son intégralité, les moyens de transport étaient extrêmement rustiques. Nous partagions la fatigue et les conditions rugueuses des voyageurs qui prenaient le taxi brousse. A l’époque, nous choisissions nos destinations sans paranoïa sécuritaire. Nous étions totalement en phase, en empathie avec la population. Dans les années 80 au Niger, nous sommes montés à 60 sur un camion chargé de sacs de riz.  Il y avait une barre en haut et nous nous accrochions les uns les autres pendant 14 heures. C’était une école de la vie absolument extraordinaire.

Voyages. C'était mieux avant ? Des années soixante aux années Covid, de Josette Sicsic et Pierre Josse. L'Harmattan, 255 pages, 24€

Retrouvez les articles de Josette Sicsic sur Tourmag.

 
Photographe humaniste, Pierre Josse a également sillonné le monde en images et réalisé de nombreuses expositions, de gauche à droite, une jeune femme et son enfant au Mali, les murets d'Inishmore en Irlande (iles d'Aran), rues et enfants de la Havane à Cuba © Pierre Josse.
Photographe humaniste, Pierre Josse a également sillonné le monde en images et réalisé de nombreuses expositions, de gauche à droite, une jeune femme et son enfant au Mali, les murets d'Inishmore en Irlande (iles d'Aran), rues et enfants de la Havane à Cuba © Pierre Josse.


06/03/2025
David Raynal





Nouveau commentaire :
Twitter


Dans la même rubrique :
< >

Samedi 1 Mars 2025 - 19:16 Au fil de l’eau en France et en Europe