Salle de rédaction
On aurait pu penser que la chronique précédente émanait d'un regard éloigné, pas vraiment en prise avec les réalités locales. Les événements qui se déroulent cette semaine prouvent bien le contraire : la prolongation de l'utilisation de la décharge de Guellala a été le déclencheur d'une protestation dont les effets sont pour le moins spectaculaires et évidemment inquiétants. Les blogs, la presse, se font l'écho de cette inquiétude grandissante à l'égard d'une industrie touristique qui est, on le sait, essentielle à l'économie de la Tunisie. De-ci, de-là, aussi, et en particulier dans les commentaires des internautes, des invectives fusent, qui témoignent du mépris à l'égard d'une société qui tente de reprendre ses marques. Ce n'est pas souhaitable. Il y a évidemment une situation d'urgence à traiter, en Tunisie, et qui touche à la plupart des aspects de la vie quotidienne : une activité économique réduite, le chômage grandissant, une population de l'arrière-pays laissée pour compte depuis bien plus longtemps qu'on ne le soupçonne.Le souci de l'environnement n'est pas des moindres, et ce que révèle aussi cette protestation violente est bien qu'en Tunisie aussi, on n'accepte pas de vivre au milieu des déchets. On n'accepte pas non plus d'être mené en bateau. Il faut tourner la page de ces impostures et de la logorrhée insane des discours et des pratiques populistes et démagogiques.
les poteries de Guellala à Djerba (Tunisie)
La décharge de Guellala est saturée, et elle devait de toutes les manières être abandonnée. Il y avait eu un accord dans ce sens, avec la population. Mais incurie des pouvoirs publics, appât du gain, laisser-aller, procrastination : aucune solution n'a été envisagée vraiment.
Et c'est bien toute l'île qui se retrouve en déshérence. Et au delà, une bonne partie de la Tunisie. Il est naturellement de bon ton d'incriminer le gouvernement actuel, dont les errances sont effectivement patentes.
Mais la question du déchet est bien ancienne, comme un héritage dont on n'arrive pas à se débarrasser.Et qui est révélateur du peu de cas dont les régimes précédents ont fait de la citoyenneté. Il est en effet frappant de constater combien dans le milieu hôtelier l'entretien est réalisé à titre privé, combien les lieux ne sont pas souillés.
Et c'est bien toute l'île qui se retrouve en déshérence. Et au delà, une bonne partie de la Tunisie. Il est naturellement de bon ton d'incriminer le gouvernement actuel, dont les errances sont effectivement patentes.
Mais la question du déchet est bien ancienne, comme un héritage dont on n'arrive pas à se débarrasser.Et qui est révélateur du peu de cas dont les régimes précédents ont fait de la citoyenneté. Il est en effet frappant de constater combien dans le milieu hôtelier l'entretien est réalisé à titre privé, combien les lieux ne sont pas souillés.
Hôtel à Djerba (Tunisie) (photo Y.C.)
L'hôtellerie, à Djerba, gère ses déchets et ne les rejette pas dans la nature dans une posture de (dé)prédation, comme voudraient le faire accroire un certain nombre de blogueurs ou bien de commentateurs qui se complaisent dans la culpabilisation des touristes. On cite souvent le terrain de golf de Djerba comme particulièrement dispendieux en eau. Sans doute. Mais cette eau est celle qui sort des usines de retraitement des eaux usées. Sans doute le tourisme a un impact réel sur la vie : on le sait depuis bien longtemps, mais comme ici, en Europe, les chemins de fer, les autoroutes, les voitures, les industries… Il y a derrière ces approximations quelque chose du mythe du bon sauvage et de l'exotisme à peu de frais. La Tunisie a accédé à la modernité, elle aussi. Et à tous ses méfaits, comme de juste. Le laisser-pourrir de l'espace public qui est frappant dès qu'on sort des complexes hôteliers est alors un signe patent de cette déconsidération dont le politique fait preuve à l'égard de la citoyenneté. Et c'est cela qui peut coûter cher. L'espace public, c'est aussi et d'abord le souci de la dignité, dont les acteurs du changement, dans les rues, se sont fait les tenants. Non, la voyoucratie n'est pas généralisée en Tunisie. Non, la citoyenneté n'est pas un vain mot. Mais il peine à se faire entendre quand près de soixante années l'ont maintenue sous le boisseau.
Écoutons ce que nous dit la journaliste Tounès Thabet : "Nous refusons de nous étouffer avec nos colères rentrées, de revenir aux temps maudits des lamentations muettes".
On trouvera la plupart de ses articles ici : www.turess.com/fr/author?name=Toun%C3%A8s+Thabet
Écoutons ce que nous dit la journaliste Tounès Thabet : "Nous refusons de nous étouffer avec nos colères rentrées, de revenir aux temps maudits des lamentations muettes".
On trouvera la plupart de ses articles ici : www.turess.com/fr/author?name=Toun%C3%A8s+Thabet
Manifestation des femmes tunisiennes
Que les réactions, les résistances, les tentatives de retour en arrière soient aussi exprimées, et même si cela prend souvent des formes insupportables, ne doit pas cacher que la société tunisienne est aussi capable de se prononcer sur des décisions qui mettent en jeu son avenir : on se repait des troubles, on pointe avec allégresse sur un fait désespérant de viol et de manipulation de la société civile, mais on ne doit pas faire non plus oublier que les manifestations féminines ont aussi permis de ne pas modifier en profondeur les choix des mots : la référence à la "complémentarité" féminine a ainsi disparu du projet de constitution. Lors de l'histoire scandaleuse du passage à tabac d'un élu français à Bizerte, l'été dernier, on a omis de signaler que le lendemain, certains voyous avaient été remis à la police par la population.
En protestant de façon aussi véhémente, la population de Guellala, montre qu'elle est partie prenante de ses propres conditions d'existence et de son cadre de vie. Le véritable danger tient au fait que certains avaient réellement le désir de provoquer des troubles : on ne se rend pas nécessairement à une manifestation avec des cocktails molotov dans sa besace, c'est certain. Ce qui est arrivé à l'ambassade des États Unis le mois dernier est aussi un signe fort de l'infiltration des mouvements par des provocateurs. Il est frappant néanmoins de constater que fusent ici où là des appels au silence, et à ne pas manifester. La société civile prend le risque, quand même, de protester, et elle a besoin de notre soutien, plutôt que de notre condescendance. Faut-il ici rappeler les scandales qui émaillent la vie politique française autour de la question des déchets ?
En protestant de façon aussi véhémente, la population de Guellala, montre qu'elle est partie prenante de ses propres conditions d'existence et de son cadre de vie. Le véritable danger tient au fait que certains avaient réellement le désir de provoquer des troubles : on ne se rend pas nécessairement à une manifestation avec des cocktails molotov dans sa besace, c'est certain. Ce qui est arrivé à l'ambassade des États Unis le mois dernier est aussi un signe fort de l'infiltration des mouvements par des provocateurs. Il est frappant néanmoins de constater que fusent ici où là des appels au silence, et à ne pas manifester. La société civile prend le risque, quand même, de protester, et elle a besoin de notre soutien, plutôt que de notre condescendance. Faut-il ici rappeler les scandales qui émaillent la vie politique française autour de la question des déchets ?
l'artiste Adel Saggal dans son atelier de Guellala (Tunisie) Copyright YC.
Mais Guellala, c'est avant tout une terre d'argile, à la tradition pluri-séculaire de la poterie. Elle était exportée jusqu'à Rome, par le port de l'antique Menninx. Voilà pourquoi les habitants n'en peuvent plus de voir la souillure se répandre. On comptait il y a une trentaine d'années près de 350 potiers. Ils sont maintenant une vingtaine. Il faut aller leur rendre visite. Il faut aller chez mon ami Adel Saggal. Il est prêt à accueillir des gens attentionnés qui voudraient apprendre à tourner la terre chez lui. Son atelier, transmis de génération en génération, est immémorial. C'est de cette épaisseur du temps dont il s'agit, d'abord.
Y.R.
Y.R.