Georges Braque, Le Port de l'Estaque, automne 1906, huile sur toile ; 60, 5 x 73 cm, Copenhague, Statens Museum for Kunst, © Statens Museum for Kunst, Copenhagen, © Adagp, Paris 2013
« Braque obstiné à se dégager de l’hérédité impressionniste, son chevalet planté sur la plage tentait de discipliner la mer », Maurice Raynal, critique d’art, Histoire de la peinture : de Picasso au surréalisme, Genève, Skira, 1950.
Quelle est la genèse de cette exposition ?
Portrait de Georges Braque 1882-1963 (Crédit Photo DR)
Brigitte Léal : Cette exposition est intimement liée à une date anniversaire puisque Georges Braque est mort en 1963, il y a exactement 50 ans. La dernière rétrospective sur ce peintre majeur date de l’hiver 1973 à l’Orangerie. Il y a eu bien sûr des expositions à la Fondation Maeght puisque Aimé Maeght était son marchand, mais il y avait une espèce d’absence prolongée de Braque qui se faisait cruellement sentir.
Même s’il a été célébré de son vivant par le ministère de la Culture en participant en tant que grande figure de la peinture du 20e siècle aux célébrations nationales, Georges Braque ne bénéficie pas sur le territoire national comme Henri Matisse ou Pablo Picasso de musées monographiques. L’œuvre de Braque est en fait visible dans quelques collections françaises, mais à travers relativement peu d’œuvres.
Il fallait faire une rétrospective qui permette de redécouvrir toute la richesse de son immense travail. Sa période fauve, puis le cubisme qui l’a fait connaître avec Picasso, mais aussi toute la variété de ses créations d’après-guerre qui avaient quelque peu sombré dans l’oubli.
Comment avez-vous construit cette exposition ?
Georges Braque, Guitare et verre, 1917, huile sur toile ; 60,1 x 91,5 cm, Otterlo, Kröller-Müller Museum, © Coll.Kröller-Müller Museum, Otterlo, © Adagp, Paris 2013
B.L. : Je l’ai construite comme un parcours chronologique. L’exposition démarre en 1906 par le fauvisme où Braque se situe tout de suite sous la protection picturale, éthique et spirituelle de l’œuvre de Cézanne, jusqu’aux derniers tableaux symbolisés par les oiseaux et les paysages. Entre temps, j’analyse toutes les périodes du cubisme cézannien, analytique ou synthétique et explore la création des papiers collés à laquelle une salle entière est dédiée.
Le parcours est interrompu par cinq cabinets documentaires qui sont agrémentés de photographies, de livres illustrés et de correspondances, d’archives. Ils donnent une idée, non seulement de la personnalité de Braque mais aussi de ses liens très profonds avec d’autres peintres comme Alberto Giacometti ou Marc Chagall ou encore des poètes comme Guillaume Apollinaire ou Pierre Reverdy.
Ses marchands, Daniel-Henry Kahnweiler, Léonce et Paul Rosenberg, Aimé Maeght sont également très présents ainsi que les écrivains de son temps, comme Jean Paulhan, qui l’a redécouvert en imposant Braque comme le patron de la peinture française.
Le parcours est interrompu par cinq cabinets documentaires qui sont agrémentés de photographies, de livres illustrés et de correspondances, d’archives. Ils donnent une idée, non seulement de la personnalité de Braque mais aussi de ses liens très profonds avec d’autres peintres comme Alberto Giacometti ou Marc Chagall ou encore des poètes comme Guillaume Apollinaire ou Pierre Reverdy.
Ses marchands, Daniel-Henry Kahnweiler, Léonce et Paul Rosenberg, Aimé Maeght sont également très présents ainsi que les écrivains de son temps, comme Jean Paulhan, qui l’a redécouvert en imposant Braque comme le patron de la peinture française.
Quelle sont les différences fondamentales entre l’exposition d’aujourd’hui et celle d’il y a 40 ans ?
De gauche à droite : Georges Braque, Canéphores, 1922, huile sur toile ; 180,5 x 73 cm, Paris, Centre Pompidou, Musée national d’art moderne, legs Baronne Eva Gourgaud, 1965, © Centre Pompidou, MNAM-CCI, Dist.Rmn-Grand Palais / Jacqueline Hyde, © Adagp, Paris 2013; Georges Braque, Grand Nu, hiver 1907- juin 1908, huile sur toile ; 140 x 100 cm, Paris, Centre Pompidou, Musée national d'art moderne, dation Alex Maguy-Glass, 2002, © Centre Pompidou, MNAM-CCI, Dist.Rmn-Grand Palais / Philippe Migeat, © Adagp, Paris 2013
B.L. : La continuité de son œuvre et l’accent sur le cubisme. Georges Braque est fondamentalement l’acteur majeur de cette fameuse cordée de montagne avec Picasso.Avec une insistance sur la forme de beauté révolutionnaire incarnée par les papiers collés dont il a été véritablement le maître. Des œuvres qui ont choqué à l’époque nous apparaissent aujourd’hui d’une pureté presque classique. J’ai travaillé longuement sur l’idée de variation et de série.
Contrairement à Picasso et Matisse qui se mettent en scène à travers tous leurs autoportraits face au chevalet et au modèle, Georges Braque, lui, ne se met jamais directement en scène. Il ne réalise pas d’autoportraits ou de portraits de muses, mais exalte la beauté brute par les moyens magistraux de sa peinture.Il aimait mélanger à l’huile des matières naturelles, du sable, de la sciure, de la terre qui donnent un côté tableau-objet à sa peinture et aussi toute sa sensualité.
Nous avons parlé d’une peinture cérébrale, méthodique, lente, cartésienne. Quand on est face à ses œuvres, nous avons également la dimension charnelle qui nous éblouit.
Contrairement à Picasso et Matisse qui se mettent en scène à travers tous leurs autoportraits face au chevalet et au modèle, Georges Braque, lui, ne se met jamais directement en scène. Il ne réalise pas d’autoportraits ou de portraits de muses, mais exalte la beauté brute par les moyens magistraux de sa peinture.Il aimait mélanger à l’huile des matières naturelles, du sable, de la sciure, de la terre qui donnent un côté tableau-objet à sa peinture et aussi toute sa sensualité.
Nous avons parlé d’une peinture cérébrale, méthodique, lente, cartésienne. Quand on est face à ses œuvres, nous avons également la dimension charnelle qui nous éblouit.
Pour quelles raisons Braque rompt-il subitement avec le cubisme ?
De gauche à droite : Georges Braque, Compotier et cartes, début 1913, huile rehaussée au crayon et au fusain sur toile ; 81 x 60 cm, Paris, Centre Pompidou, Musée national d’art moderne, don de Paul Rosenberg, 1947 © Centre Pompidou, MNAM-CCI, Dist.Rmn-Grand Palais / Jacques Faujour © Adagp, Paris 2013; Georges Braque, La cheminée, 1928, huile sur toile ; 130 x 74 cm, Zurich, Kunsthaus, Vereinigung Zürcher Kunsfreunde, © Kunsthaus, Zurich, © Adagp, Paris 2013
B.L. : Georges Braque est mobilisé en août 1914. Picasso est quant à lui citoyen espagnol, un pays neutre durant le premier conflit mondial et n’a de ce fait pas été mobilisé. Pendant que cette boucherie s’éternise, Pablo Picasso triomphe auprès du grand public grâce notamment à ses collaborations avec les ballets russes.
Grièvement blessé et gazé au front en 1915, Braque vit avec amertume la gloire de son illustre compagnon pendant que lui peine à retrouver goût à la vie et à la création.C’est sans doute une période de trouble, de mélancolie, de désespoir aussi pour Braque. Il s’exprime très peu la dessus, sinon à travers quelques lettres à son marchand Léonce Rosenberg. Il s’insurge contre l’idée qu’il a tout inventé du cubisme et que d’autres récupèrent.
Cela explique sans doute sa désaffection et son désenchantement du cubisme.Au moment où le mouvement est récupéré par les cubistes de salon, les Gleizes, les Metzinger qui en font un style. Il se tourne vers autre chose ce qui explique ce surgissement inattendu de ses grandes Canéphores néo-classiques, mais tout de même non conventionnelles, au Salon d’automne de 1922.
Grièvement blessé et gazé au front en 1915, Braque vit avec amertume la gloire de son illustre compagnon pendant que lui peine à retrouver goût à la vie et à la création.C’est sans doute une période de trouble, de mélancolie, de désespoir aussi pour Braque. Il s’exprime très peu la dessus, sinon à travers quelques lettres à son marchand Léonce Rosenberg. Il s’insurge contre l’idée qu’il a tout inventé du cubisme et que d’autres récupèrent.
Cela explique sans doute sa désaffection et son désenchantement du cubisme.Au moment où le mouvement est récupéré par les cubistes de salon, les Gleizes, les Metzinger qui en font un style. Il se tourne vers autre chose ce qui explique ce surgissement inattendu de ses grandes Canéphores néo-classiques, mais tout de même non conventionnelles, au Salon d’automne de 1922.
Comment expliquez-vous qu’à la fin de sa vie les autorités françaises encensent Braque et que le public le méconnaisse ?
Georges Braque, À tire d’aile, 1956-1961, huile et sable sur toile marouflée sur panneau ; 114 x 170,5 cm, Paris, Centre Pompidou, Musée national d’art moderne, donation de Mme Georges Braque, 1965, © Centre Pompidou, MNAM-CCI, Dist.Rmn-Grand Palais / Adam Rzepka, © Adagp, Paris 2013
B.L. : Il y a eu effectivement un silence des autorités officielles après que Braque ait été enterré avec les honneurs par le ministre de la Culture André Malraux. Cela a peu pesé sur la réception de Braque auprès de la jeune génération de 1968 qui a eu envie de renverser la vapeur. Ils ont regardé dans les années 70 plus du côté de Matisse relayés par les peintres de l’abstraction américaine et du côté de Duchamp, dont ils saluaient la radicalité. Les jeunes artistes s’intéressaient encore un peu à la peinture de Picasso en raison de son érotisme débridé dont il a d’ailleurs beaucoup joué. Braque a longtemps donné l’image d’un vieux sage peignant une peinture mesurée sans sujet, et est passé d’une certaine façon pour un artiste démodé. Il a été choisi par Malraux pour entrer de son vivant au Louvre, parce que c’est un homme qui n’avait pas choisi comme Fernand Léger ou Pablo Picasso d’adhérer au parti communiste français.
Braque ne s’est jamais inscrit à aucun parti politique. Il avait une certaine défiance envers l’engagement politique, ce qui ne l’a pas empêché d’avoir des amis aux convictions politiques très variées. Je pense à Karl Einstein l’auteur de sa première monographie qui a été spartakiste, marxiste révolutionnaire, engagé dans les brigades internationales. Avant de quitter la France pour l’Espagne, il lui avait confié tous ses manuscrits, ce qui était une preuve de confiance extraordinaire. Et puis, il y a eu cette amitié avec Erik Satie, René Char, le poète résistant, ce qui prouve que Braque était avant tout un homme de la liberté.
Braque ne s’est jamais inscrit à aucun parti politique. Il avait une certaine défiance envers l’engagement politique, ce qui ne l’a pas empêché d’avoir des amis aux convictions politiques très variées. Je pense à Karl Einstein l’auteur de sa première monographie qui a été spartakiste, marxiste révolutionnaire, engagé dans les brigades internationales. Avant de quitter la France pour l’Espagne, il lui avait confié tous ses manuscrits, ce qui était une preuve de confiance extraordinaire. Et puis, il y a eu cette amitié avec Erik Satie, René Char, le poète résistant, ce qui prouve que Braque était avant tout un homme de la liberté.
Cette exposition va-t-elle avoir une autre vie après Paris ?
B.L. : L’exposition s’envole à Houston au Texas au Museum of Fine Art le musée des beaux-arts du 13 février au 11 mai 2014. Il y a une grosse communauté française à Houston qui sera sans doute très sensible à cette exposition. Et il y aura peut-être encore une troisième étape en Europe un peu plus tard...
Quelle est en définitive l’idée que nous devons retenir au 21e siècle de l’œuvre de Braque ?
Georges Braque, Grand intérieur à la palette, 1942, huile et sable sur toile ; 145 x 195,6 cm, Houston, The Menil Collection, © Photo Hickey-Robertson, Houston. The Menil Collection, Houston, © Adagp, Paris 2013
B.L. : Ce serait l’éthique de la création. Avec un peintre comme Juan Gris, Georges Braque a partagé l’idée d’une espèce de cérébralité de la peinture, d’intégrité morale aussi. Ils ont tous les deux été aimés plus que tout par Daniel-Henry Kahnweiler et aussi par des collectionneurs comme Douglas Couper. En ce sens, ces deux peintres pensaient uniquement en formes et en couleurs.
Propos recueillis par David RAYNAL
Propos recueillis par David RAYNAL
Plus d'infos
Ouverture :
du mercredi au samedi de 10h à 22h, le lundi et le dimanche de 10h à 20h. Fermeture le mardi.
Vacances de Noël du 21 décembre au 4 janvier : tous les jours (sauf le mardi) de 9h à 22h. Les 05 et 06 janvier de 10h à 22 heures.
Tarifs :
12 €, TR 8€ (16-25 ans), gratuité pour les moins de 16 ans.
Billet couplé Braque/Vallotton ou Braque/Cartier : 20 €, TR 16€
Accès :
Métro ligne 1 et 13 « Champs-Élysées-Clemenceau » ou 9 « Franklin D. Roosevelt »
www.grandpalais.fr
Après le Grand Palais à Paris l'exposition s'exporte à Houston au Texas au Museum of Fine Art de Houston le musée des beaux-arts du 13 février au 11 mai 2014.
Ouverture :
du mercredi au samedi de 10h à 22h, le lundi et le dimanche de 10h à 20h. Fermeture le mardi.
Vacances de Noël du 21 décembre au 4 janvier : tous les jours (sauf le mardi) de 9h à 22h. Les 05 et 06 janvier de 10h à 22 heures.
Tarifs :
12 €, TR 8€ (16-25 ans), gratuité pour les moins de 16 ans.
Billet couplé Braque/Vallotton ou Braque/Cartier : 20 €, TR 16€
Accès :
Métro ligne 1 et 13 « Champs-Élysées-Clemenceau » ou 9 « Franklin D. Roosevelt »
www.grandpalais.fr
Après le Grand Palais à Paris l'exposition s'exporte à Houston au Texas au Museum of Fine Art de Houston le musée des beaux-arts du 13 février au 11 mai 2014.
Georges Braque, Femme à la palette, 1936, huile sur toile ; 92,1 x 92,2 cm, Lyon, musée des Beaux-Arts, legs de Jacqueline Delubac, 1997, © Rmn-Grand Palais / René-Gabriel Ojéda / Thierry Le Mage, © Adagp, Paris 2013