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Reportage

Irène Frain, écrivain de Bretagne, de France et du Monde

Lauréate du Prix Bretagne-Breizh 2014 pour son dernier ouvrage biographique et personnel « Sorti de rien », l’écrivain Irène Frain dénoue avec pudeur et délicatesse le fil de sa filiation paternelle et nous raconte l’engagement de sa vie pour la Bretagne.

Par David Raynal (texte et vidéo)



Irène Frain lauréate du Prix Bretagne-Breizh entourée par quelques-uns des membres du jury, (de droite à gauche) Philippe Le Guillou le président, Patrick Mahé, Sébastien Le Foll. A droite, l'écrivain en compagnie de l'homme d'affaires et mécène Vincent Bolloré à la Maison de la Bretagne à Paris (Crédit photo David Raynal)
Irène Frain lauréate du Prix Bretagne-Breizh entourée par quelques-uns des membres du jury, (de droite à gauche) Philippe Le Guillou le président, Patrick Mahé, Sébastien Le Foll. A droite, l'écrivain en compagnie de l'homme d'affaires et mécène Vincent Bolloré à la Maison de la Bretagne à Paris (Crédit photo David Raynal)
Tout commence pour par une affirmation maladroite, voire stupide.  De celle qui laisse à tout jamais des bleus à l’âme et blesse profondément la dignité de ceux qui la reçoive, surtout en public

"Un jour, un journaliste m’interpelle : Vous qui êtes sortie de rien…. Quel rien ? La misère qui fut celle de mon père ? »
Piquée au vif, mue par une colère ancestrale qui prend alors la parole, Irène Frain décide de retourner en Bretagne.

Elle part à la recherche de ce père humilié qui ne plia jamais devant l’adversité. Elle enquête sur ce qu’il fut, s’interroge sur ce « Rien » dont elle est aujourd’hui la digne fille.

Un père qui à 11 ans venait tout juste de passer son certificat d’études lorsqu’il se retrouva placé d’autorité par sa mère comme beutjul  « enfant à tout faire » chez un paysan. Pendant quatre ans, « le dixième de dix », comme elle le nomme dans son livre, dormit dans le grenier de la soue à cochons, contraint de ne parler que le breton avec ses autres camarades, valets de ferme. Un matin, l’adolescent prit son courage à deux mains et partit se réfugier chez son frère Joseph, qui lui enseigna son métier de maçon.  Mais il avait perdu l’habitude de s’exprimer en français et désormais personne ne le comprenait. A cet instant, il connut une nouvelle fois la honte.  Il décida alors d’investir l’argent de sa première paie dans l’achat d’une grammaire française et d’un dictionnaire breton-français pour « réapprendre le français ».

Histoire familiale

L'auteure Irène Frain sept ans après la disparition de son père fouille le contenu d’une petite valise noire bourrée de lettres et de poèmes qu'il lui avait léguée avant de mourir. (Crédit photo D.R)
L'auteure Irène Frain sept ans après la disparition de son père fouille le contenu d’une petite valise noire bourrée de lettres et de poèmes qu'il lui avait léguée avant de mourir. (Crédit photo D.R)
Plus tard, cet homme secret, énergique et courageux prendra sa revanche contre l’injustice et deviendra à force de concours et de lectures choisies professeur pour adulte.

« Par ce livre j’ai voulu rendre justice à mon père qui a été paysan dans son enfance et qui à force de persévérance a réussi un très beau parcours. Mon père était fier, altier, rendu peut-être même un peu hautain par tant d’humiliations rentrées. Il arrivait d’ailleurs que ma mère se rebelle.  Je n’ai pas cherché à le ménager dans mon livre. Dans mon enfance, j’aimais lire à côté de la malle où étaient entreposées les lettres qu’il avait écrites lorsqu’il était prisonnier de guerre. Sans le savoir, j’étais comme attirée par le force occulte de ces souvenirs dont j’ignorais alors l’existence ». Irène Frain est naturellement bouleversée par son histoire familiale.

La petite ville de Cléqurec dans le Morbihan, où le père d'Irène Frain a passé plusieurs années en tant que garçon de ferme : de gauche à droite : la Fontaine de la Trinité, le Calvaire et les Roches du diable (Crédit photos D.R.)
La petite ville de Cléqurec dans le Morbihan, où le père d'Irène Frain a passé plusieurs années en tant que garçon de ferme : de gauche à droite : la Fontaine de la Trinité, le Calvaire et les Roches du diable (Crédit photos D.R.)
A Cléguérec dans le Morbihan, elle rencontre à la manière de la talentueuse journaliste qu’elle est,  les derniers témoins vivants de l’exil paternel forcé.

Sept ans après sa disparition, elle fouille le contenu d’une petite valise noire bourrée de lettres et de poèmes que lui avait léguée son père avant de mourir. Petit à petit, elle comprendra d’où lui vient son amour pour les mots et les livres et percera jusqu’au secret de son prénom. « Mon père m’a fourni un kit de survie pour affronter les difficultés de l’existence. J’ai toujours été une battante. Je crois à la force des mots et suis naturellement attirée par la culture des autres. Je sais aujourd’hui à qui je le dois. Et puis, il m’a donné une conscience bretonne. C’est un homme qui était habité par le « non » des Bretons. Quand sa dignité était atteinte, il était capable de tout rompre » explique l’écrivain. 

Héros ordinaires

Un autre paysage de forêt profonde en Bretagne, cette fois-ci à Tonquédec, une commune située dans le département des Côtes-d'Armor (Crédit photo David Raynal)
Un autre paysage de forêt profonde en Bretagne, cette fois-ci à Tonquédec, une commune située dans le département des Côtes-d'Armor (Crédit photo David Raynal)
L’auteur du Nabab, d’Au royaume des femmes,  des Naufragés de l'île Tromelin ou de Beauvoir in love, livre ici un récit personnel et poignant.

A travers l’évocation de son père, elle retrace la saga de ces millions de héros ordinaires qui se battent quotidiennement sur la planète pour se nourrir, progresser et donner un sens à leur vie. « En Bretagne, nous avons la capacité de rebondir. Nous sommes un peuple  énergique de résistants et surtout nous avons l’énergie « le nerzh ». Je crois également que nous bénéficions d’un formidable gisement de matière grise. La matière grise, c’est la seule grande énergie renouvelable au monde. On la transmet aux enfants, on la diffuse dans l’instant par cette volonté de croire. En cela, nous ressemblons à ces formidables réservoirs d’énergie humaine que sont l’Inde, la Chine ou l’Afrique. Souvent je me sens bien avec eux parce que c’est ce que j’ai connu gamine. Nous sommes malheureux en ce moment pour diverses raisons, mais nous ne sommes pas dépressifs, car nous avons cette combativité bretonne et les moyens d’innover » rappelle la romancière engagée. En cela, Sorti de rien part de la Bretagne pour toucher à l’universel. L’ouvrage pose également avec acuité et urgence la question de la dignité des hommes qui se confond bien souvent avec celle des peuples, breton, touareg ou tibétain, lorsqu’ils subissent l’arbitraire des puissants ou de ceux qui sont censés les représenter. D.R.

Plus d'infos

L'écrivain Irène Frain au côté du musicien breton Alan Stivell lors de la remise du Prix Bretagne-Breizh 2014 (Crédit photo David Raynal)
L'écrivain Irène Frain au côté du musicien breton Alan Stivell lors de la remise du Prix Bretagne-Breizh 2014 (Crédit photo David Raynal)
Sorti de rien
ouvrage biographique et personnel
Lauréate du Prix Bretagne-Breizh 2014

Editions du Seuil
Prix 19,50 Euros










Pour en savoir plus sur l’auteur :
www.irenefrain.com

Irène Frain : " En Bretagne, nous avons eu depuis toujours la volonté de rebondir. En cela, nous ressemblons à ces formidables réservoirs d’énergie humaine que sont l’Inde, la Chine ou l’Afrique. Souvent, je me sens bien dans ces pays parce que c’est ce que j’ai connu gamine." (Crédit photo D.R.)
Irène Frain : " En Bretagne, nous avons eu depuis toujours la volonté de rebondir. En cela, nous ressemblons à ces formidables réservoirs d’énergie humaine que sont l’Inde, la Chine ou l’Afrique. Souvent, je me sens bien dans ces pays parce que c’est ce que j’ai connu gamine." (Crédit photo D.R.)



16/06/2014
David Raynal





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